Il est 1h34 du matin. L’angoisse. L’angoisse de la page blanche. En fait, la page est aussi blanche que mes idées sont noires. Je n’y arriverai jamais. Je crois que j’ai surestimé mes forces. C’est comme si on attendait de moi que je réinvente la roue à chaque nouvelle ligne. C’est impossible. La tâche est simplement impossible.
Quelle idée j’ai eue, aussi ? Pourquoi aller pitcher une série policière ? Bien-sûr qu’elle allait se vendre, c’est si facile de vendre une série sur des flics de nos jours, mais encore faut-il l’écrire ! Je voulais gagner ma vie, je voulais faire de la télé, c’est là que ça se passe, là qu’il y a du fric à se faire, là qu’il faut être… mais tout d’un coup je me demande ce que je vais bien pouvoir faire de ce pilote.
Des flics. Ça, c’est clair dans ma tête. Mais après ? Bon, un commissariat. Avec plein de flics différents qui se croisent sur des enquêtes… un endroit paumé, oublié de Dieu, où la police est le dernier bastion de la civilisation, dans un bâtiment délabré, presque sinistré. L’impression de lutter contre un système en pleine décadence, avec des personnages ambivalents et dépassés, mais consciencieux…
Mais comment le dire une nouvelle fois ?
Il est 2h18 du matin. J’aurais dû écouter mon père et reprendre sa putain d’épicerie. Pourquoi je me suis embarqué là-dedans ? Je regarde sa photo sur mon bureau, à côté de mon écran désespérément vide. S’il me voyait maintenant à ramer pour écrire quelques lignes…
Et c’est là que je les ai vus. Mes DVD. Je les ai avec moi depuis des années maintenant. Ils m’ont suivi de déménagement en déménagement. Celui-là, je l’ai acheté alors que je n’étais encore qu’étudiant.
Je les ai lancés. Un à un. Saison après saison. En avance rapide mais l’œil aux aguets, pour ne rien rater. Je cherchais un guide et il est là, sous mes yeux. Tout y est. Ça semble si simple. Non, en fait c’est simple. Le gimmick du tableau, c’est bon ça, je vais garder. Un commissaire black, comment je n’y ai pas pensé ? Non, une femme, tiens, ce sera encore mieux. Seigneur, tout est là, c’est si simple ! Je n’ai qu’à regarder et apprendre. Le thème du documentaire… je n’ai même pas besoin de dire que c’en est un, je laisse le réalisateur s’en charger : avec quelques didascalies, je lui refile le bébé. Un personnage antipathique, un autre trop gentil… tout se met en place lentement, je commence à avoir le schéma en tête.
Il est 5h23, et je me suis remis à écrire. Je me sens soudain inspiré. J’ai bien fait de revoir mes vieux épisodes de NYPD Blue et Homicide. Dans quelques heures ce sera bouclé, et puis j’irai soumettre le script final dans l’après-midi. Je sais déjà comment ça va s’appeler : Detroit 187.
En tout cas, la photo promo avec les têtes d’enterrement ne donne pas particulièrement envie (le texte qui précède non plus, mais je sens comme une intention vaguement cachée dans cette direction de toute façon).
J’avais déjà oublié l’existence de cette série…
Pas sûr que ce soit une série qui passe par chez moi.