O televisor redentor : la télévision brésilienne pour les nuls

22 août 2010 à 9:02

Dans l’imaginaire collectif, le Brésil évoque immédiatement le football, le carnaval de Rio, la samba et les telenovelas. Ce n’est pas tout-à-fait faux, mais c’est tellement réducteur ! Vous allez voir que le Brésil peut être un pays plus surprenant que prévu, qui lui vaut aujourd’hui d’être l’un des plus gros vendeurs de fiction dans le monde.

La télévision brésilienne pour les nuls

– Un départ sous de bons auspices

Contrairement à ce qui se passe dans l’immense majorité des pays lorsqu’ils se dotent de la télévision, la première chaîne brésilienne à faire son apparition sur les écrans du pays n’est pas publique. TV Tupi, c’est son nom, est une chaîne commerciale. Ses premières images, en septembre 1950, sont celles d’une petite fille de 5 ans annonçant : « la télévision brésilienne est maintenant à l’antenne ». Avec sa programmation généraliste, faite d’émissions d’information, de fictions dramatiques, et, déjà, des premières telenovelas (inspirées par les radionovelas des pays alentours), elle annonce déjà ce que sera la télévision brésilienne des décennies suivantes. En s’appuyant sur des stations disséminées en plusieurs points du territoire, TV Tupi prend rapidement la tournure d’un network d’importance. Trois ans plus tard, Rede Record lui emboîte le pas avec, à peu de choses près, la même logique de programmation. Mais pendant ces premières années, les choses ne sont pas si simples, car peu de foyers ont accès à la télévision. Seule une élite peut se permettre d’acheter un poste, aussi la télévision est-elle pendant sa première décennie d’existence destinée uniquement à ce public bien spécifique. Devant le peu de public, les investissements sont moindres et essentiellement constitués d’importations, du moins sitôt que la technologie le permet.

Pourtant, après ces premières années d’exploration, la décennie suivante va représenter l’une des périodes les plus fastes pour la télévision brésilienne. Trois nouveaux networks vont voir le jour pendant en quelques années : TV Excelsior en 1960, Rede Globo en 1964 et environ Rede Bandeirantes en 1967… le mot « rede » désignant justement l’équivalent de « network ». On sent bien que l’idée est de prendre possession de la plus grande partie du territoire possible. Le public va proportionnellement s’élargir, grâce au régime politique du pays ; cela peut paraître paradoxal, mais le gouvernement militaire qui arrive au pouvoir en 1964 veut créer une « identité nationale », et pense que la télévision sera le meilleur moyen de fédérer les populations autour de certaines idées, aussi, au lieu de limiter son expansion, elle la favorise. Et justement, 1964 est aussi l’année de naissance de Rede Globo, qui dés lors deviendra l’un des partenaires privilégiés de l’État, bien que restant un média privé. Le gouvernement lance aussi une aide pour aider les foyers à s’équiper, et encourage la production nationale.

Sua Vida Me Pertence, la toute première telenovela
Sua Vida Me Pertence, la toute première telenovela

– L’émergence de Rede Globo

Favorisée par cet environnement propice à son développement, Globo va se démarquer et devenir la plus importante chaîne du pays, attirant dans les principales villes entre 60 et 80% des spectateurs ! Difficile de rivaliser pour les autres chaînes, qui tentent d’exister en ciblant des catégories socio-professionnelles précises, et essayent de créer des niches ; par exemple, la classe ouvrière permet à SBT d’atteindre laborieusement la seconde place. En 1972, Rede Bandeirantes innove avec la première diffusion en couleurs du pays… Mais le plus important, c’est que l’hégémonie de Globo, avec ses telenovelas ultra-populaires, va entraîner une baisse significative de l’import de programmes ; désormais, la chaîne est capable de proposer entre 12 et 14h de productions nationales par jour ! Devant un tel monopole et un tel dynamisme, TV Tupi finit par déposer le bilan en 1980.

En 1985, l’intervention de l’État dans les affaires du monde télévisuel s’atténue, avec l’arrivée d’un gouvernement décidé à réduire la censure. Ironiquement, Globo n’en est venu à soutenir ce gouvernement civil que par crainte de perdre son public, se mettant sur le tard au diapason des autres chaînes qui plébiscitaient un changement de régime. Et c’est pourtant grâce à ce revirement politique que les années suivantes vont donner une nouvelle impulsion à la télévision brésilienne et notamment à Globo. Cap sur le monde ! Désormais, c’est la vente des séries à l’étranger qui va permettre aux chaînes existantes (ainsi qu’à TV Manchete qui prend la place laissée vacante par TV Tupi) de se développer. Ainsi, TV Globo remplit ses grilles à 90% d’émissions et fictions nationales. Grâce au satellite, qui élargit leur audience pendant les années 90, les grands networks développent des telenovelas toujours plus nombreuses. Et vu que maintenant, 99% des Brésiliens ont la télévision, ces succès ne sont pas à prendre à la légère. L’arrivée du câble, également dans les années 90, termine de modeler le marché.

De nouvelles chaînes apparaissent grâce à ces avancées technologiques, comme MTV Brasil, Rede Vida (la chaîne catholique) et Rede TV!. Et qui dit multiplication des chaînes, dit aussi segmentation des audiences. Pendant les années 2000, c’est l’hécatombe : la plupart des chaînes perdent une part importante de leurs spectateurs (9% pour Globo, 44% pour SBT…) ; seule exception, la jeune Rede Record qui en gagne 123% en 10 ans, notamment grâce à des investisseurs venus des États-Unis. La concurrence d’internet finit d’achever le panorama télévisuel : on n’allume plus autant la télévision qu’avant, surtout si l’on est jeune. Attirer le public des adolescents et des jeunes adultes et le défi de la dernière décennie… Mais dans tout cela, Rede Globo conserve son monopole, devenant une organisation tentaculaire.

Actuellement, le Brésil est l’un des pays où l’on est le moins abonné au câble, et quand on l’est, c’est plus par soucis de qualité d’image qu’autre chose, et seuls 8,3 des 192 millions de Brésiliens ont un abonnement, en général parmi les classes les plus aisées. Ne croyez pas que ça empêche le Brésil de poursuivre ses avancées technologiques ; en fait, en décembre 2007, les 5 plus grands networks et les 2 chaînes publiques sont déjà passés au tout-numérique.

Le Projac, l'usine à rêve de Rede Globo
Le Projac, l’usine à rêve de Rede Globo

– La toute-puissance des networks brésiliens

Ah oui, alors, les chaînes, justement, parlons-en. On l’a vu, les chaînes publiques sont arrivées sur le tard dans le paysage audiovisuel, mais ce n’est pas tout. Rede Globo est le plus grand network du pays ; on peut se le permettre quand on est la troisième plus importante chaîne du monde ! Avec son quasi-monopole et sa politique d’expansion, la chaîne est loin d’être prête à céder sa place, et mène la vie dure aux concurrentes plus récentes nées sur le câble et le satellite.

– Rede Bandeirantes : autrefois première chaîne à diffuser en couleurs, c’est aujourd’hui péniblement le 4e network du pays.
– Rede Globo : fondée en 1964, Globo a rapidement acquis, à la faveur d’un climat politique favorable, la place de première chaîne du pays (et la troisième au monde derrière CBS et NBC). Elle consacre 600 000m² de ses studios (le « Projac », pour Projeto Jacarepaguá) à la production de fictions, et produit environ 2500 heures de telenovela chaque année.
– Rede Record : dernière survivante des chaînes nées dans les années 50 (TV Tupi et TV Excelsior étant tombées au combat), Rede Record conduit depuis quelques années une politique agressive qui passe entre autres par des telenovelas plus nombreuses.
– Rede TV! : apparu en 1999, ce successeur de TV Manchete est le network le plus récent du pays. Technologiquement, c’est aussi le plus avancé : tous ses programmes sont filmés en HD, et c’est sur cette chaîne que s’est faite la première diffusion télévisée en 3D du monde.
– SBT : plutôt orientée vers les enfants, les pré-adolescents et les adolescents. Côté fiction, SBT diffuse essentiellement des telenovelas mexicaines.

Si le câble et le satellite ne se sont pas imposés dans les foyers brésiliens comme dans la plupart des autres pays, il est bon de noter l’émergence de HBO Latino ces dernières années, à la fois cause et conséquence d’une petite révolution sur le terrain de la fiction…

Une nouvelle race de telenovela :  Beto Rockfeller
Une nouvelle race de telenovela : Beto Rockfeller

– Le Brésil, la telenovela… et le reste

Modelée d’après leurs équivalents radiophoniques venus des pays limitrophes, les premières telenovelas brésiliennes font leur apparition en 1951 avec Sua Vida Me Pertence. D’abord, la majorité des scripts étrangers sont adaptés, quasiment mot pour mot, mais assez rapidement, l’intérêt des spectateurs pour ce genre motive notamment TV Tupi, qui s’aventure dans des scénarios inédits. Les années 60, qui comme on l’a dit ont été une période faste pour la télévision brésilienne, verront le développement d’une fiction nationale toujours plus poussée, conséquence de la politique d’embauche des chaînes : celles-ci ont de plus en plus recours aux professionnels du théâtre et du cinéma, qui voient dans ce nouveau média un excellent moyen de toucher un public plus large.

Avec le succès de Beto Rockfeller, en 1968, les telenovelas s’invitent de plus en plus souvent en prime time, et se permettent de plus en plus de variations de style : légèreté, voire humour, mais aussi utilisation de la popculture et de musiques à la mode, la telenovela n’est plus, depuis longtemps, cette romance guindée telle qu’on se l’imagine caricaturalement. Pas étonnant que ce format commence à intéresser les voisins ! Rede Globo se positionne rapidement comme le plus gros exportateur de telenovelas en Amérique latine, mais aussi bien au-delà. C’est dans les années 70, avec Escrava Isaura, que le Brésil s’ouvre les portes du monde : la série est vendue à 80 pays (ce sera l’occasion pour la Chine d’accueillir sa toute première série mettant en vedette une actrice étrangère), et sera un véritable phénomène dans plusieurs pays d’Europe, notamment la Pologne ; en France, son format est modifié mais lui permet d’être diffusée par plusieurs chaînes. Voilà qui ouvre la voie à des exportations toujours plus nombreuses, qui continuent chaque année de gagner du terrain. Et toute l’Amérique du Sud a depuis adopté ce format de série quotidienne durant jusqu’à six mois en moyenne…

Capitu, ovni élégant et envoûtant
Capitu, ovni élégant et envoûtant

Depuis l’arrivée des chaînes américaines via le câble et le satellite, ainsi qu’avec l’émergence d’internet, le format traditionnel brésilien souffre néanmoins de la concurrence. Le jeune public ne s’intéresse pas autant au telenovelas que la génération précédente ; les chaînes doivent donc rivaliser d’ingéniosité pour attirer l’attention de ce public depuis environ une dizaine d’années. La prise de conscience s’est faite il y a environ 10 ans, mais des échecs cuisants rappellent cet impératif aux bons souvenirs des chaînes à intervalles réguliers. Pour Rede Globo, encore l’an dernier, c’était la débâcle avec la telenovela Viver a Vida, qui a enregistré les pires audiences de la chaîne depuis sa création ; une claque après le succès de Caminho das Índias

Malhação, le soap le plus long du Brésil, est tout justement une série à destination des adolescents, mais ce n’est pas tout. Comment agir ? En innovant, et en allant chercher sans hésiter le public des adolescents et des jeunes adultes sur des terrains jusque là peu ou pas exploités. S’inspirant du succès des séries nord-américaines, les chaînes s’essayent aussi à d’autres formats, optant pour la série hebdomadaire de 45 minutes, sur une période souvent assez courte s’étendant rarement au-delà d’une quinzaine de semaines (les Brésiliens leur ont même donné un nom : « microsséries » !). La mini-série Capitu, les séries La cité des Hommes ou Força Tarefa sont autant d’exemples de fictions appartenant à ce courant relativement récent, cherchant à se démarquer des productions traditionnelles. D’ailleurs, l’arrivée de HBO Latino a beaucoup aidé : des séries comme Mandrake ou Alice sont venues diversifier encore les fictions locales et s’adresser à un nouveau public, encouragées en cela par le gouvernement brésilien qui met en place des fonds spécifiquement dédiés à cet effet.

C’est donc, en parallèle de l’expansion constante de la telenovela, le nouveau défi de la télévision brésilienne : relever de nouveaux challenges créatifs, et proposer une fiction toujours plus variée.

Article également publié sur SeriesLive.com.

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