Cas d’école.
Je surveille, comme à peu près tous les jours quand le Dieu de la Téléphagie me le permet (mais le Démon du Travail intervient parfois…), mes sources habituelles de news. Aujourd’hui ne m’a pas demandé d’effort particulier, car pour ainsi dire tout le monde en parle. Même JMM, c’est dire.
Me voilà donc à préparer une news sur une série égyptienne qui fait débat, et dont il me semble intéressant de souligner qu’elle présente un certain intérêt dans le contexte politique du pays, outre le fait qu’il est assez rare qu’une série s’intéresse à l’histoire contemporaine. Quel que soit le pays, ça semble plus facile de s’intéresser à quelque chose qui commencerait à dater d’il y a plusieurs décennies, voire si possible plusieurs siècles, plutôt que de heurter quelques susceptibilités. Je trouvais ça intéressant et après avoir pesé le pour et le contre (parce qu’avec les réactions de certains, cette démarche de 10 minutes est devenue obligatoire et conduit dans 70% des cas à une auto-censure un peu agaçante…), je me suis dit que je ne serais pas la seule. L’un des intérêts de la téléphagie, ça reste quand même bien quand elle nous permet de réfléchir à quelque chose de plus large…
Al Gama’a, c’est son nom, est donc une série qui fait polémique et si vous tentez une petite recherche sous Google avec son titre, vous ne pouvez pas la rater.
C’est là mon problème.
Car quand on recherche Al Gama’a, on ne tombe que sur divers échos (plus ou moins pompés les uns sur les autres) de cette polémique. Écoutez bien : j’ai même été infoutue de trouver exactement sur quelle chaîne la série est diffusée. C’est vrai que je fais mes recherches depuis le boulot, d’un endroit sensible, en plus, où je ne suis pas certaine que trouver « al gama’a al islamiya » dans mon historique soit bien vu, mais le fait est que je n’ai pas trouvé. J’ai mes soupçons, pour m’être intéressée à la télévision égyptienne voilà quelques semaines, mais pas de confirmation. A vrai dire, si ce n’était pour la seule photo légendée que j’ai trouvée, je ne saurais même pas vous dire qui joue dedans. Quant à savoir qui la produit, c’est simplement hors de question.
Et ça me chagrine, que voulez-vous, parce que par nature je suis du genre à aimer fignoler mes fiches, et qu’étrangement je n’ai pas ce problème pour des quantités de séries, diffusées dans des langues que je ne comprends pas plus que l’arabe.
Étrangement, quand une série égyptienne (ou libanaise, ou peu importe) fait débat, là, tout le monde se rue dessus. Mais si elle c’est une comédie, ou une romance, ou le biopic d’une star locale, ou une saga historique gentillette, là tout d’un coup ya plus personne.
Bande de vautours.
Dés qu’il y a quelque chose de négatif à faire ressortir (ici, les récriminations d’une organisation islamiste dont les procédés ne semblent pas vraiment faire l’unanimité, pour dire les choses avec diplomatie), on y va ! Ah ça, si on peut expliquer que le pauvre scénariste est seul contre tous, même si son regard est, bon, peut-être partial dans le fond, là c’est bon, là ça cause.
Et toutes les autres séries, messieurs les journalistes ? Toutes les autres, celles qui permettent de relativiser ? Imagine-t-on ne parler que de 24 pour aborder la fiction des États-Unis ? Ah mais pardon, ce sont les Américains, ils ont des laisser-passer à l’année sur nos chaînes nationales, pour eux on veut bien apporter de la nuance…
Je suis Française, je suis agnostique, et ça me choque. Je n’imagine même pas ce que je ressentirais, en tant que téléphage et en tant que rédactrice sur SeriesLive, si j’étais d’origine arabe ou de confession musulmane. J’aurais probablement tendance à le prendre encore plus mal que là. Je trouve ça d’une hypocrisie inouïe. Ça en dit long sur nos mentalités occidentales. Bon, je ne suis pas en train de dire que je vais apprendre l’arabe juste pour changer ça, parce que j’ai déjà le Japonais sur le feu, et que j’ai toujours ce rêve de consacrer du temps à l’apprentissage du Suédois, mais sachez que l’idée m’a traversée, c’est peut-être extrême mais j’ai eu une telle réaction de dépit, de dégoût et de lassitude que franchement, je me suis dit qu’il fallait y faire quelque chose.
Parce qu’en tant que téléphage à peu près curieuse, ça va, je pense que j’arrive à faire la part des choses. Quand je passe des heures pour trouver des infos sur UNE série égyptienne, syrienne, algérienne… quelque part, je me mets hors de danger. Hors du danger de penser de façon systématique que toutes les séries égyptiennes ont forcément ce goût de polémique, voire de provocation. Mais les autres ? Les téléphages peu curieux ? Les télambdas ? Pire, les gens qui n’en ont rien à faire et qui tombe sur cette info parce qu’elle est relayée par le Figaro ou le Nouvel Obs ? Quelle peut être leur vision de l’Égypte ? Quelle est l’information résiduelle qu’ils en ont ? Forcément déformée, plus encore que pour moi qui tente de m’intéresser à une partie minuscule de ce qui se dit en Égypte, via la télévision.
Ça me révolte, je ne vous le cache pas.
Bon, j’avais déjà effleuré ce sujet, mais je ressentais le besoin de revenir sur ce petit scandale, quand même. Comme je le disais, parler de notre rapport aux séries arabes ne me semble pas tout-à-fait anodin…
J’ai moi aussi tendu l’oreille, et malheureusement je dois me contenter de ce qu’on me donne. Mais c’est le propre du journalisme, ça, et je ne pense pas que ce soit propre à l’Occident, bien au contraire.
Et pour parler de notre pays, combien de fois je me suis insurgé contre nos journalistes, pas fichus de faire la moindre recherche, mais qui bêlent et bêlent encore et encore !
Se rabattre sur le Net « pro » n’est plus une bonne idée, tant il est devenu un terrain de chasse politisé à outrance. Ca me rappelle un documentaire de France 2 qui fustigeait l’info sur le net, parce qu’elle n’est souvent pas traitée par des journalistes. Ah bon, parce qu’il y a une différence ?
A quand une vraie éthique du journalisme ? A quand des regards croisés ?
Que l’on soit de gauche ou non, le fait que 90 % des journalistes français affirment voter à gauche, ça devrait au moins alerter quant à la diversité des paroles que l’on entend tous les jours. (Notez bien que je ne critique pas le bord politique, mais bien l’enfermement, la vision étroite qui consiste à répéter ad nauseam les mêmes choses sans oser voir plus loin que ses conceptions.)
La curiosité et la pédagogie d’un journaliste ne devraient pas se limiter à ses idées.
Et que l’on traite de séries télé ou de jeu vidéo, si vous regardez attentivement, hors spécialistes ou amateurs, vous aurez toujours le même discours sous-jacent, sans aucune recherche.
Mais attendez, la recherche, c’est pas le b.a.ba du journalisme ?
Ce truc de s’opposer à l’information sur le net, c’est purement corporatiste ! Et sous un certain angle, je peux le comprendre parce que ces gens ont un savoir-faire que nous n’avons pas, c’est évident. Les deux se complètent, c’est ça qui est important.
Mais pour le reste tu as raison, c’est vrai que ce n’est pas le propre de l’information téléphagique, naturellement.