Saga afrikaans : la télévision sud-africaine pour les nuls

1 août 2010 à 9:07

Après avoir passé une partie de l’été à l’heure sud-africaine, à l’occasion de la Coupe du Monde, peut-être que le monde est prêt à regarder ce qui se fait en Afrique du Sud…? Voilà un pays où la télévision a mis très longtemps à être acceptée par le gouvernement, puis à la libérer de toute censure… mais aujourd’hui, c’est l’un des pays les plus dynamiques du continent en matière de fiction. Prêts pour une séance de découvertes ? Promis, cet article est garanti sans vuvuzela.

La télévision sud-africaine pour les nuls

– Démarrage laborieux

Bien qu’étant l’un des pays d’Afrique les plus avancés économiquement, l’Afrique du Sud se dote de la télévision très tardivement. La cause ? Un gouvernement fermement opposé à ce que le pays permette à ses habitants de se détourner de la radio, un média largement en place et parfaitement contrôlé par l’État. Dans les années 60, le Premier Ministre comme le Ministre de la Poste et de la Télégraphie, en particulier, refusent de donner le feu vert à la télévision ; les raisons données sont variées : menace de la moralité, mise en danger de la jeunesse… et surtout, horreur : mixité. L’apartheid divise le pays avec d’un côté les blancs, c’est-à-dire les afrikaners d’origine néerlandaise (qui représentent environ 20% de la population à l’époque), et de l’autre, eh bien, les noirs, évidemment, qui bien qu’étant en majorité numérique, sont largement réduits au silence. Et permettre la diffusion d’émissions, notamment étrangères, aurait montré des populations se mélangeant sans problème, ce qui était proprement inconcevable par le gouvernement ségrégationniste de l’époque.

La plaisanterie va durer encore assez longtemps : en 1969, alors que le premier homme marche sur la lune, l’Afrique du Sud est l’un des rares pays à ne pas pouvoir suivre l’évènement en direct. Devant la levée de boucliers que cet évènement provoque, le gouvernement autorise plus tard la diffusion sur des écrans publics d’un enregistrement de 15 minutes, mais ce n’est évidemment pas la même chose. La radio voit donc son monopole inchangé, et propose certaines séries en version audio (comme par exemple Chapeau melon et bottes de cuir), jusqu’à ce qu’en 1971, finalement, un projet commence à voir le jour, sous la forme de 3 chaînes : deux à destination des blancs (l’une en anglais, l’autre en afrikaans), et la troisième pour les noirs. Le gouvernement craint notamment le projet de satellite Intelsat, lancé en Occident, qui donnerait accès à des chaînes venant de pays jugés impérialistes.

Il faudra finalement attendre janvier 1976 pour que, passés les premiers tests, la télévision fasse réellement ses débuts avec une seule chaîne contrôlée par le SABC (l’autorité de régulation des médias) : TV1, en anglais et afrikaans… et directement en couleur ! L’Afrique du Sud devient alors le 2e pays d’Afrique dont les programmes sont intégralement diffusés en couleur, mais c’est normal, le pays voulait s’éviter de faire la transition à partir du noir et blanc quelques années à peine après avoir lancé son système. En un an, ce sont pas moins de 650 000 foyers qui s’équipent ! Preuve que ce nouveau média était attendu avec impatience… Une deuxième chaîne publique sera lancée en 1981 sous le nom si original de TV2, proposant quant à elle des programmes dans divers dialectes africains (zoulou, tswana, etc.) ; aucune des deux chaînes ne propose de sous-titres, ce qui empêche les spectateurs d’une certaines appartenance ethnique de s’intéresser aux programmes de la chaîne qui ne leur est pas destinée.

– Un contexte politique indissociable

L’apartheid est loin d’arrêter là ses conséquences sur la télévision sud-africaine. D’une part, la censure fait rage, notamment en matière politique où les opposants n’ont jamais la possibilité de s’exprimer. Et puis surtout, les ennuis des spectateurs viennent de l’extérieur. Alors que la fiction venue d’autres pays aurait pu leur apporter un regard différent sur la société, la Grande-Bretagne et l’Australie décident de boycotter la vente de droits de diffusion en Afrique du Sud. Voilà le pays soumis à un régime télévisuel uniquement américain, avec quelques fictions allemandes et danoises pour varier un peu. Le SABC parvient toutefois à contourner le boycott en rachetant des séries notamment britanniques à d’autres pays, et en les doublant. Oui, en doublant des séries anglaises en anglais. Quand on veut, on peut.

Pendant les années 80, le gouvernement lancera TV3 et TV4, mais elles seront plus tard fusionnées avec TV2 pour devenir CCV-TV, une chaîne d’information unique, tandis que TV1 s’ouvrira à plusieurs langues et cultures au même moment. C’est en effet vers la fin des années 80, avec le changement de gouvernement, que le pays commence à mettre l’apartheid derrière lui. Dans l’intervalle, la chaîne payante M-Net a fait son apparition en 1986, et bien qu’étant interdite de proposer des programmes d’information pendant ses premières années, elle insuffle le changement dans le panorama télévisuel. La décennie 90 sera celle du changement : la première offre satellite apparait en 1992, et les pays étrangers commencent progressivement à revendre des droits aux chaînes d’Afrique du Sud. En 1996, le SABC réorganise toutes ses chaînes, et en profite pour rééquilibrer la proportion de programmes et fictions dans des langues africaines face à l’afrikaans. Les réactions outrée du public blanc conduisent l’autorité à revoir sa copie dans les années qui suivent ; le SABC gère aujourd’hui trois chaînes publiques en Afrique du Sud, et plusieurs chaînes panafricaines diffusées sur tout le continent.

L’Afrique du Sud a commencé la bascule vers le digital lorsque la première offre satellite est apparue ; le câble n’a jamais vraiment réussi à prendre à cause des distances à câbler, dont une partie désertique dans le Nord-Ouest. Par contre, en 1995, le bouquet DStv, qui s’adresse également à d’autres pays d’Afrique sub-saharienne, remporte un franc succès ; l’offre se développera en 15 ans jusqu’à proposer rien moins que 600 chaînes de toutes sortes ! En 2010, un bouquet concurrent a été lancé, TopTV, mais avec seulement 55 chaînes, il lui est actuellement difficile de rivaliser avec l’historique DStv… Inconvénient supplémentaire : les foyers s’équipent lentement ; mais cela n’empêche pas l’Afrique du Sud d’avoir annoncé en 2007 le passage au tout numérique ; la transition s’effectuera par paliers et sera finalisée le 1er novembre 2011. Le gouvernement a promis aux foyers les plus pauvres une subvention à hauteur de 70% afin que tous les citoyens puissent acheter le boîtier numérique nécessaire pour réceptionner les chaînes.

Une vue des bâtiments du SABC
Une vue des bâtiments du SABC

– Quelques chaînes sud-africaines :

Les chaînes sont extrêmement nombreuses en Afrique du Sud ; deux raisons à cela : d’une part, la diversité des langues et dialectes, et d’autre part une particularité nationale, les « chaînes communautaires ». Autorisées par une loi en 1993, elles débutent sous la forme de chaînes temporaires de 4 semaines maximum, dans le cadre d’un évènement spécifique. Ce n’est qu’en 2007 qu’elles sont autorisées à durer jusqu’à 7 années. Leur principe est simple : à but intégralement non-lucratif, une communauté quelconque a le droit de créer sa propre chaîne fin de relayer des informations pour ses membres. Elle a pour obligation d’employer certains de ses membres, ce qui en plus, en fait un vecteur d’emplois. Alors, du coup, le choix de chaînes est vertigineux, forcément. Mais voici les chaînes nationales les plus importantes :

Les trois chaînes publiques gérées par SABC, héritières de TV1 et ses petites sœurs, sont très proches :
SABC 1, SABC 2 et SABC 3 : leur programmation ne distingue pas vraiment ces triplées du public, qui se différencient plutôt par les langues dans lesquelles elles sont diffusées. Deux d’entre elles proposent des programmes en anglais, deux d’entre elles le font en afrikaans, et deux proposent des émissions en langues africaines. Ça fait un peu problème de mathématiques niveau 5e, mais c’est comme ça !

Et puis, les plus incontournables des chaînes privées :
M-Net : première chaîne commerciale du pays, elle est cryptée et payante ce qui en fait, sur le principe, l’équivalent de Canal+. Elle diffuse de nombreuses séries américaines, ainsi que des fictions maison régulièrement saluées pour leur qualité et/ou l’audace de leur sujet.
e.tv : si historiquement, e.tv apparait après M-Net, elle est en revanche la première chaîne commerciale gratuite. Et ça fait toute la différence, parce que du coup, les finances manquent pour subventionner des fictions africaines, au profit de l’acquisition des droits de nombreux séries de HBO (entre autres). Face à la controverse, la chaîne s’est tournée vers le solution de facilité : les soaps.

– Premiers pas vers une fiction locale

Tout commence avec le tournage d’un épisode de K2000 tourné en Afrique du Sud, employant de nombreuses personnes sur place. TV1 y voit là un double intérêt : d’une part, la possibilité de négocier plus facilement des droits de diffusion avec Universal, et d’autre part, une bonne occasion de prendre exemple sur les États-Unis pour créer un modèle de fiction rentable. Le pays continuera depuis lors d’accueillir à bras ouverts les équipes de tournage étrangères, pour la télévision comme pour le cinéma, permettant à ses professionnels de s’imprégner autant que possible des modes de travail étrangers (récemment, c’était par exemple le cas de District 9). Pendant ce temps, la fiction « maison » représente autour de 60% des programmes, les chaînes ayant longtemps été soumises à des quotas très stricts dans le domaine des importations.

En janvier 1976, parmi les programmes à apparaitre, on compte la première série sud-africaine, Dubbele Alibi (« parfait alibi »). Mais il est cependant intéressant de noter que l’Afrique du Sud a beaucoup de mal à garder une série policière à l’antenne ; le public est en effet souvent réticent. Pendant longtemps, la police était quasiment considérée comme une force, sinon d’invasion, au moins d’oppression, par la population noire du pays ; ça pouvait passer dans une série allemande, mais pas du tout dans une fiction nationale. Et si l’on trouve de la littérature policière (essentiellement via des enquêtes menées par des personnes n’appartenant pas à la police), il faudra très longtemps à la télévision sud-africaine pour en proposer également. Depuis environ la milieu des années 90, le genre a pourtant fait un bond (ce qui n’est certainement pas sans rapport avec la fin de l’apartheid), et les séries policières sont à présent plus nombreuses que jamais.

Les premières émissions et fictions du pays sont cependant plutôt adressées aux enfants, partant du principe que si un enfant peut le regarder, ça convient tout aussi bien aux adultes ; sans compter que comme ça, on ne prend aucun risque politiquement. Les séries d’animation (dessin animé, mais aussi pâte à modeler, marionnettes, etc…) deviennent même une spécialité de SABC, qui développe de nombreuses techniques dans le domaine. Les adultes sont d’ailleurs nombreux à regarder ces programmes, bien qu’ils ne leur soient pas adressés ; des séries de science-fiction comme Interster, inspirée des Sentinelles de l’Air (trop onéreuse à acquérir), charment toutes les générations. L’une des plus emblématiques reste Haas Das se Nuus Kas, une série dont le personnage principal Haas Das, un lapin vêtu en tout et pour tout d’une cravate, présentait des informations sur le quotidien d’animaux capricieux et azimutés ; la série a d’ailleurs connu un revival au cinéma en 2007.
Toutefois, pas d’angélisme pour ce genre télévisuel plus que dans les autres : dans un pays aussi divisé, il faudra attendre 1987 pour qu’un personnage de couleur soit admis dans une émission pour enfants.

Shaka  Zulu, une mini-série qui a marqué son temps
Shaka Zulu, une mini-série qui a marqué son temps

– Regarder de tout, en petites quantités

La comédie et les soaps sont depuis passés par là. Bien que la télévision sud-africaine propose un éventail de genres variés, ce sont ces deux-là qui gardent la préférence du public. Ils sont en effets les plus faciles à manier lorsqu’il s’agit d’explorer des sujets de société. En fait, les Sud-Africains ont développé une grande tendresse pour les soaps (qu’ils appellent en fait affectueusement « soapies »), des séries qui leur permettent de rêver à un monde souvent monochrome et donc plus simple ; leur production comme leurs thèmes restent souvent assez proches de ce qu’on peut voir en Occident et notamment aux États-Unis qui pendant très longtemps ont fourni le pays en fictions de toutes sortes, y compris les soaps.

En revanche, on trouve parmi les comédies les thèmes les plus inattendus. Skwizas, qui a commencé il y a quelques semaines sur SABC2, propose par exemple de suivre de turbulentes mamies qui font face à des problèmes d’argent, à leurs excès et leurs regrets… des Craquantes moins positives que l’original, en quelque sorte. Quant à l’incontournable Stokvel, nommée aux International Emmy Awards, elle s’intéresse à un phénomène strictement sud-africain, les stokvel, sorte de club où chaque membre verse régulièrement de l’argent dans le pot commun, qu’un autre membre peut employer à sa guise chaque mois, chacun à son tour. Explorant à la fois des questions d’argent mais aussi toute la structure sociale qui se met en place autour d’un stokvel, la série se fait un devoir de refléter une certaine réalité de la vie en communauté en Afrique du Sud.

Et si la série s’est qualifiée pour un International Emmy Award, ce n’est pas par hasard : les séries sud-africaines voyagent bien. Aujourd’hui, avec plus de 150 sociétés de production, l’Afrique du Sud est le premier pays d’Afrique noire en termes de production télévisuelle, en général en afrikaans, mais pas exclusivement puisque l’anglais et les langues africaines sont très bien représentées. De ce fait, l’Afrique du Sud exporte bon nombre de ses fictions dans d’autres pays africains. C’est d’abord la mini-série historique Shaka Zulu qui, dans les années 80, avait remarquablement bien réussi à s’exporter, y compris en Europe malgré la controverse qui l’accompagnait ; il était considéré qu’acheter une série à l’Afrique du Sud, alors plongée dans l’apartheid, était une façon de l’y encourager. Depuis, l’une des séries sud-africaines ayant le plus fait parler d’elle à l’étranger récemment est une co-production avec le Canada, la série de science-fiction Charlie Jade, diffusée dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe, dont la France.

Avec ses programmes variés, souvent tous publics, et ses horaires en général très accessibles (le primetime de M-Net vient d’être repoussé à 17h30 au lieu de 17h00 !), la télévision sud-africaine n’a que des raisons de plaire au plus grand nombre… à condition qu’elle ne s’arrête pas en si bon chemin, et se débarrasse des derniers boulets de l’apartheid.

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