Pourquoi regarder des séries d’autres contrées ? Pour vivre une expérience comme celle-ci, par exemple.
Pour être surprise.
Au bout d’un moment (et je crois que finalement, c’est de ça que j’ai pas mal parlé cette semaine avec mes posts sur la science-fiction), à force de regarder les séries venant d’un même univers, on finit par en maîtriser les codes et avoir du mal à se laisser surprendre. Ça ne vaut d’ailleurs pas que pour la SF, loin de là.
Le weekend dernier, j’ai revu le pilote de Fringe, et poussé le vice jusqu’à tenter l’épisode diffusé ensuite. Pour quelqu’un qui déteste farouchement Fringe, c’était une performance qui nécessitait une bonne dose de patience, une large part d’insomnie, et dix ongles à venir avec application pendant les scènes trop chiantes. Et il y en a eu. Mais globalement, le problème ce n’était pas les scènes en elles-mêmes, c’était l’odieuse impression permanente de déjà vu, et si la fin du deuxième épisode (soit après plus de deux heures de visionnage), j’ai commencé à me dire que ça prenait enfin tournure, globalement, ça restait très largement dans les clous.
C’est donc là qu’intervient la fiction « étrangère », c’est-à-dire toutes les fictions qu’on connait mal ou pas du tout. Évidemment, quand je vous parle du Japon, de l’Inde ou plus récemment d’Israël (je pense que je vais regarder Hatufim sans sous-titres tellement la scène d’ouverture fait envie), c’est un peu facile de parler d’exotisme télévisuel. A culture fondamentalement différentes, codes fondamentalement différents.
Mais ce soir, en rentrant de mon nouveau boulot, j’avais l’esprit trop morose pour finir la saison 8 de Will & Grace (ça va sans doute attendre quelques jours, d’ailleurs, avant de m’envoyer ces 8 ultimes épisodes, pour atténuer le choc de la séparation, après un marathon de moins de deux mois), et je n’avais pas envie de me marrer. La journée avait été frustrante et usante, et j’avais besoin d’exorciser ça avant de me mettre à rire. C’est là que comme par hasard, j’ai réalisé qu’une cagoule lancée la semaine dernière était intégralement tricotée sur mon chez moi informatique, et, me rappelant vaguement du thème de la série pour en avoir fait la fiche, je me suis dit « et pourquoi pas ? ».
Et pourquoi pas regarder une série polonaise ? C’était l’idée qui semblait la plus adéquate, parce que, même si on tente de s’en défendre, on imagine tout de suite une série polonaise comme froide, pas très colorée, et en plus le thème tendait à valider cette théorie. Cette série a été récompensée lors du dernier Roma Fiction Fest (c’est comme ça que m’est venue l’idée de la cagouler), et comble du comble, j’ai même réussi à dégoter des sous-titres en anglais, il faut croire que j’avais le cul bordé de nouilles ce jour-là.
Bref, banco. Me voilà donc à regarder Naznaczony, dont je sais juste qu’il y sera question du Bien et du Mal, d’un peu de surnaturel, et d’un homme en apparence irréprochable. Et que la série est censée avoir une bonne réalisation et une bonne B.O., vu les récompenses.
Je vous le dis tout net : arrivée à la fin de l’épisode, j’en sais à peine plus. Limite, les résumés que j’ai lus (pourtant en anglais, c’est pas comme si j’avais dû traduire du polonais !), je suis même pas certaines qu’ils soient exacts. Gloire à ma curiosité qui va donc me pousser à regarder la suite pour pouvoir s’assurer que j’ai pas raconté des conneries sur la fiche.
C’est flou à un tel point que je doute. Mais ni les sous-titres, ni le scénario ne sont à blâmer pour ce flou, et c’est ça qui fait que le pilote de Naznaczony a été une expérience positive à mes yeux. Le flou fait que mon cerveau de spectatrice imbibée de codes de l’Ouest passait son temps à dire « ah ouais, d’accord, il va se passer ça », et pas du tout. Et, non pas qu’il ne se soit rien passé, mais arrivée au bout des 42 minutes que dure le pilote, je n’avais aucune idée de la façon dont les choses allaient se poursuivre.
On sent bien un certain nombre d’éléments, et que l’intrigue sait où elle va. Mais la construction du truc fait qu’on ne devine pas la structure de l’histoire à l’avance. Il y a effectivement un passage un peu cliché, mais à vrai dire, je ne serai convaincue de sa qualité de cliché qu’une fois que j’aurais vu la suite. Je ne suis même pas certaine que ce truc un peu gros ne soit pas voulu.
Il ne s’agit pas de dire que, ô merveille, toutes les séries polonaises sont merveilleusement intrigantes et originales. Pas plus et pas moins que celles de n’importe quel autre pays, ça va de soi. Mais globalement, on est quand même encore assez convaincus qu’un certain nombre de pays ne sont capables que de fourguer de vieilles merdes abominables et des copies plus ou moins assumées de séries américaines… et voir Naznaczony relativise pas mal tout ça. On sent que dans la façon de penser le récit, il y a quelque chose qui dit « je n’ai pas été formaté par une vision américanisée de la fiction », et c’est très libérateur pour le spectateur, tout ça. Évidemment, c’est difficile de ne pas penser à certaines séries américaines au cours d’une ou deux scènes du pilote, mais chaque fois qu’on croit qu’on sait où ça va, eh bien pas du tout. Je suis très rarement surprise à ce point par la structure de l’intrigue quand je regarde une série américaine.
Et puis, quand même, un mot de la réalisation et de la musique, pour évoquer les récompenses obtenues. La musique est omniprésente, mais à la façon d’un film, où j’ai souvent (pour ne pas dire toujours, parce qu’il doit bien y avoir eu quelques exceptions) l’impression que la musique surjoue légèrement. Ici c’est le cas aussi, mais sans parvenir au niveau de ridicule d’autres productions médiocres (tous pays confondus). On a juste une occupation permanente de l’espace sonore qui fait qu’on devient extrêmement attentif aux thèmes musicaux employés (et leur gamme est relativement large), ainsi qu’aux effets sonores ; et il y en a un, en particulier, que je trouve très efficace et qui est très, très bien trouvé, et très, très bien employé, comme on peut le voir sur la fin du pilote. On nous conditionne sans en avoir l’air à guetter cet effet sonore, c’est franchement bien joué. Il sert en tous cas admirablement à poser l’un des personnages.
Ah, et la réalisation alors. Eh bah punaise. C’est beau. C’est beau, mais c’est pas ultra esthétique, si vous voyez ce que je veux dire. Il y a juste des angles, des jeux de lumière, qui se glissent dans une scène ici, une autre là, pendant que beaucoup sont juste « propres », voire « austères », et le contraste rend incroyablement bien. La scène sur le port, pendant la tempête, propose des petits effets pour faire des éclairs, et tout, sous la pluie, c’est joli comme tout, mais c’est classique. Et tout d’un coup, paf ! Un plan extraordinaire d’une ou deux secondes à peine, lorsque Tadeusz tombe par terre et lève le nez… merde alors, c’était un coup de génie. Parce que dans le plan suivant, tout est normal à nouveau, les éclairs, la pluie, et c’est tout. C’était très plaisant de voir que la forme jonglait avec notre perception pour souligner certaines caractéristiques de l’un des personnages. Plutôt que de foutre des filtres partout, en faire des tonnes dans les effets incroyables, ou au contraire avoir l’air cheap et coincé, Naznaczony a trouvé un juste milieu qui sonne exactement comme ça : juste. Mais futé.
On n’a pas cherché à m’en mettre plein les yeux, mais on n’a pas lésiné sur la qualité. J’apprécie.
Donc moi vous comprenez bien que vu l’état de flou dans lequel le pilote m’a laissée, avec en plus une bonne réalisation et une histoire intrigante, je pense que je ne vais pas laisser ce crime impuni et que je vais continuer sur ma lancée. C’est dommage, après Will & Grace je m’étais fixé de finir la saison de Capadocia, bon, ce n’est que partie remise.
Mais que voulez-vous ? Ça a toujours été comme ça avec moi. Un coup de cœur chasse l’autre…
…Un coup de cœur pour une série polonaise. Si on m’avait dit.
Tu m’as donné envie, mais je n’arrive pas à dénicher les sous-titres en anglais. Et comme je ne suis pas brillant en polonais… Un petit coup de pouce ?