Scaridentification

8 mai 2010 à 21:11

Il y a eu un long moment pendant lequel je ne pouvais plus rien regarder sans me sentir déconnectée de ce que je regardais. Il n’y avait plus que la musique qui entrait, et ensuite il y a eu cette histoire de surdité qui a aussi coupé court à cet exutoire. Si je vous raconte ça, ce n’est pas pour me faire plaindre mais pour expliquer en quoi l’activité (souterraine) dans le Secret Diary of a Cinephile est surprenante actuellement. Il y a eu un regain d’intérêt ces derniers jours pour le cinéma, probablement parce que j’étais soulagée d’y trouver des thèmes nécessaires par le plus grand des hasards.

Les films que j’ai vus en quelques jours sont en effet plutôt nombreux, vu le rythme auquel je les ai enchaînés :

Des films en apparence assez différents, et choisis quasiment par hasard. Les raisons pour que je regarde un film ces derniers jours ont été les suivantes, et uniquement les suivantes :
– la cagoule est disponible et si le film ne me dit rien, je vais vérifier via Google la gueule de l’affiche ; à partir de là, j’avise
– je m’aperçois qu’un acteur ou une actrice que j’apprécie a reçu des récompenses ou de bonnes critiques pour son rôle, je cherche donc une cagoule
Concrètement, je ne lis pas le pitch à l’avance. Sauf pour Havoc dont je connaissais les grandes lignes pour avoir lu le résumé à l’époque de Normal Adolescent Behavior (ceux qui avaient fait l’effort de se renseigner quand j’ai parlé du film comprendront). Mais sinon, rien de rien.

Et au final, à la notable exception de Watchmen qui est franchement l’intrus dans cette liste (et peut-être éventuellement The Babysitters, quoique ça se discute), on peut regrouper ces films en deux grandes familles : les films dont un personnage (ou plus) a un comportement addictif d’une part, les films sur le cancer et/ou la mort de l’autre. Quand j’ai eu du bol, les deux en même temps.
Une sacrée chose que le hasard. Ou le subconscient, allez savoir…

Est-ce que je bois ou je me drogue ? Mon vice est ailleurs. Est-ce que j’ai un cancer ? Pas moi. Est-ce que je vais mourir ? Pas dans l’immédiat si ça ne tient qu’à moi.

Pourtant on peut difficilement nier qu’en ce moment ce sont les thèmes que j’ai envie de voir dans une fiction, et que j’ai envie d’aborder avec moi-même, aussi. Et en-dehors de cette histoire de hasard ou de subconscient qui travaille en ma faveur, je dois avouer que je suis soulagée de pouvoir trouver dans des fictions le reflet de mes pensées actuelles (et vice versa, d’ailleurs). Une sorte d’identification indirecte, pourrait-on dire.

Une drôle de chose que l’identification.

Une anecdote. Je me souviens être allée voire 8 mile à peu près à l’époque de sa sortie au cinéma, avec mon copain de l’époque, T. C’étaient les vacances et nous les passions ensemble, je ne me rappelle plus du contexte exact. Il faut savoir de T qu’il a vécu toute sa vie dans un milieu riche et surprotégé, et que le film ne l’attirait pas outre mesure ; Dieu seul sait pour quelle raison il m’a laissé le trainer dans cette salle de cinéma (d’un autre côté il m’a trainée devant Donjons & Dragons, on est quittes). Quand on est ressortis de la salle, mon premier réflexe, comme chaque fois que je viens de voir un film avec quelqu’un, a été de vouloir échanger nos impressions. Mais 8 mile n’avait pas fait impression sur T. Je ne dis pas que le film avait fait mauvaise impression sur lui, je dis vraiment : pas d’impression du tout. Et devant ma surprise à cette absence de réaction, il me dit : « je ne me suis pas identifié, c’est tout ! ».
S’identifier à 8 mile. Ca ne m’avait même pas traversé l’esprit. Je n’ai pas grandi dans les mêmes conditions que T mais je ne m’étais pas identifiée pour autant. Je ne sais pas, j’avais laissé l’histoire faire son chemin, je m’étais laissée faire, voilà tout ; pour s’identifier à ce film, il en faut, quand même, pour s’identifier ! Je ne pense pas que les millions de spectateurs pour ce film se sont tous identifiés au personnage d’Eminem, n’est-ce pas ? Je n’avais rien de commun avec ce personnage, mais je me suis laissée imprégner par ses souffrances le temps du film, parce qu’il y avait quelque chose à en éprouver tout de même, quelque chose qui trouvait résonance en moi bien que je n’écoute pas de rap, que je n’aie pas grandi dans la banlieue de Detroit, que je n’aie jamais vécu dans une caravane, etc…

De la même façon, je ne me suis pas identifiée aux personnages que j’ai vus dans les films de ces derniers jours. C’était même leur plus grande qualité : n’avoir rien à voir avec moi. Si tant est qu’il existe un jour un personnage où je me reconnaisse vraiment, ils en étaient loin.
Pourtant j’ai ressenti cette connexion, cette connexion qui m’est nécessaire en ce moment, et que je suis contente de retrouver en même temps que mon audition, et finalement… est-ce que n’était pas une forme d’identification ?

J’ai identifié mes préoccupations actuelles aux personnages que j’ai vus défiler. Ils les ont personnifiées pendant quelques minutes. Et ce que je déteste avec les films, c’est que c’est fini, ils ne reviendront plus faire leur représentation sur la scène du théâtre de mes questionnements, ils ont tiré leur révérence et ne reviendront plus.

Non, c’est ça le plus incroyable, je n’ai rien, strictement rien en commun avec ces personnages. Et n’ai jamais rien eu de commun avec eux. Mais de les voir, ça me sert à « comprendre », ça me sert à déposer mes questions sur eux et les voir se résoudre comme des équations, à leur façon, chacun à leur façon d’ailleurs, et ça m’aide. Finalement je n’ai rien en commun avec eux, mais on est d’accord qu’ils ont quelque chose qui m’appartient…

Les séries à me fournir ce genre d’exutoires sont rares (mais pas inexistantes, j’ai su en trouver, à plusieurs reprises) en ce moment, mais je suis contente d’avoir entamé ce challenge cinéma, qui m’encourage dans ces identifications temporaires et douloureuses de deux heures.

Deux heures hors de moi-même, mais plongée dans les questions que je me pose. Sans qu’il ne s’agisse vraiment de moi, parce que ce qui me fait pleurer sur le moment, ce n’est pas mon histoire, c’est la leur, et, aha, c’est la magie de la chose, leur histoire n’existe pas vraiment !
Ça fait un bien fou.

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