Imaginez une version de Cendrillon où :
– il n’y pas deux cruelles belles-sœurs mais juste une seule
– …qui d’ailleurs n’est pas cruelle mais en fait « juste » meurtrie à jamais
– la belle-mère n’est pas odieuse, par contre elle est totalement opportuniste
– il n’y a pas de marraine la fée
– Cendrillon accuse un léger retard mental (imho)
Et vous obtenez… euh, une histoire qui n’a plus grand’chose à voir avec le conte d’origine.
Je propose donc pour la prochaine fois qu’on réinvente le conte de la belle au bois dormant, sauf qu’elle ne serait pas belle et qu’elle serait juste dans le coma suite à une overdose de LSD et qu’en fait c’est pas un prince qui la réveillerait mais le janitor qui débrancherait son respirateur par erreur ; et puis ensuite, on moderniserait l’histoire du petit chaperon rouge qui serait en réalité un jeune homme de 30 ans toujours habillé en bleu qui se promène dans une grande ville avec un sac McDonald’s qu’il va donner à son grand-père SDF qui vit dans un bidonville ; et puis la saison suivante on pourrait s’atteler à la relecture du Petit Poucet qui en fait n’a pas six frères très pauvres mais seulement deux sœurs très sexys et qui sème non pas des cailloux mais plutôt des … bon, je crois que vous saisissez mon propos.
Ce prétexte de réinventer une histoire vieille comme le monde (ou presque) pour faire rien que ce qu’on veut, ça me laisse de marbre. Pourquoi de nos jours, la règle en matière de télévision est-elle de toujours se proclamer une parenté quelconque avec un livre, une bande-dessinée, un film, une autre série, un réseau social, une cousine éloignée…? Vous êtes des scénaristes, vous inventez une série… après faut assumer. Et si les gars du marketing tentent de vous convaincre que c’est mieux parce que ça parlera plus au public, envoyez-les en Enfer, où est leur place.
J’en ferais des posts Point Unpleasant pendant des heures, mais ce n’est pas mon sujet du jour. Et ce ne sont pas les sujets Point Unpleasant qui manquent.
Donc cette histoire selon laquelle Cinderella Unni serait une relecture du conte d’origine, sur moi, ça prend pas un seul instant. C’est que des foutaises, je suis désolée de le dire. La parenté est réduite à sa plus simple expression, et ça n’a pas le moindre intérêt en plus, alors zut. Pour autant que je sois concernée, Cinderella Unni n’a pas à se targuer de la moindre ressemblance avec le conte, et est une série à part entière.
Et une bonne, avec ça.
Parce que par-dessus le marché c’est même pas comme si elle avait besoin de ça pour exister, cette série. Par elle-même, elle est excellente. Je rejoins de nombreux observateurs (et les chiffres d’audience, accessoirement) pour dire que c’est l’une des meilleures du moment.
Cinderella Unni parle, et c’est sans doute pour ça qu’elle me charme tant, de souffrance, de traumatismes, de cicatrices indélébiles. Je crois avoir suffisamment répété qu’en plus, la période se prête particulièrement pour moi à ce genre de séries. Dans le fond, le pilote de Cinderella Unni (et c’est la raison pour laquelle je nie la paternité du conte), c’est l’histoire de deux jeunes filles marquées au fer rouge qui vont être immanquablement mises en opposition par la vie, et pas l’histoire d’une pauvrette qui serait désavantagée vis-à-vis de l’autre.
Non, c’est un vrai combat de deux destins qui tentent d’exister dans le même univers mais ne le peuvent pas.
Ding !
A ma gauche, le tenant du titre en matière d’histoires à fendre le cœur : Eun Jo, jeune adolescente trop mûre pour son âge qui est terrifiée à l’idée que sa mère la conduise droit dans le mur avec son comportement erratique vis-à-vis des hommes. Ses préoccupations principales sont de ne pas savoir quand elle prendra son prochain repas, de fuir des hommes violents, d’échapper à des gangs, de ne pas se faire violer par un beau-père temporaire, ce genre de joyeusetés.
A ma droite, le challenger dans le domaine des sanglots longs de violons : Hyo Sun, pré-adolescente totalement immature et vraisemblablement bloquée au stade intellectuel d’une enfant de 7 ans. Ses préoccupations principales sont de retrouver des objets qu’elle perd partout et sans arrêt, d’être gentille avec tout le monde et d’être aimée en retour par absolument tout le monde aussi.
On le voit, Hyo Sun est du genre poids plume quand Eun Jo joue dans une toute autre catégorie. On sent d’ailleurs que les scénaristes ont leur petite préférée dés le premier round, Eun Jo bénéficiant des meilleures scènes à tous les égards.
Chacune a évidemment droit à ce qu’il faut de scènes d’exposition (les parents n’ayant, dans les deux cas, qu’un rôle d’alibi pour leurs préoccupations), mais de toute évidence, c’est Eun Jo qui souffre, c’est Eun Jo qui se pose des questions, c’est Eun Jo qui craint pour sa survie. C’est le portrait d’une adolescente à la dérive parce que tout l’y pousse, et qui est prête à se perdre plus encore, pourvu de sortir du cercle vicieux dans lequel elle se sent enfermée.
Tous ceux qui ont vu ce premier épisode vous parleront de la scène du train. Évidemment. C’est la scène incontournable de cet épisode inaugural qui décrit parfaitement où se trouve psychologiquement Eun Jo. C’est poignant à souhait, un brin terrifiant, parfait, vraiment. Donc évidemment, je l’ai sous-titré.
Pour situer le contexte, disons simplement que l’adolescente a pris le parti de fuir la maison de son beau-père du moment avec sa mère sous le bras et un sac de fortune, et que le beau-père s’est empressé de faire prévenir le gang le plus proche par son jeune fils, parce que dans la précipitation, Eun Jo n’est pas partie les mains vides…
Si l’on devait chercher un équivalent dans les scènes de Hyo Sun, on irait chercher une scène plus caricaturale (car il n’y a que ça), où Hyo Sun prête à la mère d’Eun Jo les vêtements de sa défunte maman, et, émue, est prise d’une crise de larmes qui permet d’expliciter le manque d’affection dont la petite a fait la démonstration pendant toutes ses scènes. Son attachement irrationnel à sa (future) belle-mère n’est pas exactement subtil, mais il a le mérite de dépeindre une gamine qui ne serait pas caricaturalement gâtée-pourrie, juste moins en déveine que Eun Jo et terriblement esseulée. Hein, vous dites ? Nan mais ça va, je vais pas vous sous-titrer tout l’épisode, non plus.
Concrètement, Cinderella Unni est une bonne série, et ce dés le pilote, ça ne se discute même pas ; elle s’affranchit vite de sa référence culturelle pour s’inventer ses propres repères, notamment en donnant une grande force au personnage de Eun Jo par ses multiples scènes de description ou d’action.
Après, vous me direz : c’est peut-être pour plus tard. Dans un deuxième ou troisième round.
Et il est effectivement envisageable que le conte reprenne sa place ultérieurement, qu’on en retrouve des éléments (au hasard : jalousie autour du prince ?), pour mieux les déconstruire et les retourner après… c’est toujours possible en effet.
Mais ce n’est pas le chemin que semble avoir pris la série, narrativement parlant, au vu de ce premier épisode. On a dépassé le stade de la réinvention pour être dans l’invention tout court, et c’est pas plus mal comme ça. Cela ne donne que plus d’impact à cette histoire de belles-sœurs que la vie n’a pas gâtées (même si ce n’est pas dans les mêmes proportions). On ne cherche pas à reprendre les clichés d’une histoire qui a cessé d’émouvoir il y a quelques siècles, et ça me plait. Les deux sœurs grandissent côte à côte, avec leurs blessures et leurs traumatismes qui les opposent sans doute bien malgré elles, et je pense qu’on est gagnant dans l’affaire.
Ça fait au moins un gagnant dans cette histoire.