Allez, j’ai pitié de vous. Pour changer des séries coréennes… direction le Japon ! En cette rentrée, quelques nouveautés avaient réussi à plus ou moins capter mon attention (le point capital de cette phrase étant « plus ou moins »), mais les sous-titrages sortant dans l’ordre qui les arrange et non selon mes propres priorités, aussi exaspérant et stupide que cela puisse sembler d’ailleurs, me voilà donc à parler de la saison printanière japonaise en commençant par Sunao ni Narenakute.
Qui, de « pas prioritaire du tout » est passé, avec une petite affiche bien sentie et un contexte favorable, à « tiens au fait vivement que ». Ce sont des choses qui arrivent.
Sunao ni Narenakute, c’est, pour ceux qui ont échappé aux news de SeriesLive à ce sujet (mais pourquoi Ducros il se décarcasse, eh ?) une série s’appuyant sur le concept de Twitter.
Attention : pas sur un compte Twitter en particulier. Non. Sur Twitter dans sa globalité. C’est la différence avec Shit my Dad says, le projet de Denny Crane. De… enfin, vous m’avez comprise. Et là, on retient tous notre souffle en nous disant : « bordel, c’est pas possible d’être opportuniste comme ça, je vois même pas comment on peut tirer une série du concept de Twitter ». Je suis et je relance d’un « sans compter que Densha Otoko est passé devant ». Comment une série peut-elle retranscrire aussi finement que Densha Otoko la façon dont un microcosme virtuel fonctionne et réagit sur internet, avec mise en scène créative et maîtrise du fond du sujet ? Sincèrement, on voit mal comment on peut mieux faire.
C’est là, donc, qu’arrive Sunao ni Narenakute, et que dans un premier temps, la série répond à ce défi de façon brillante : elle l’évite. Complètement. Voyez, c’était pas la peine de se tracasser pour si peu ! Les premières minutes du pilote sont vite expédiées avec une présentation sommaire de Twitter laissant penser, grosso-modo, qu’il s’agit d’une sorte de chat mondial fort commode où on raconte sa petite vie. Ce qui n’est quand même pas l’exacte vérité, non plus, et les utilisateurs le savent bien. Ces quelques minutes (et son ignoble petit panneau pédagogique, voir capture ci-dessous) ont valeur de postulat de départ et il faut le dire, sur le coup, ça déçoit un peu de voir que la série se donne si peu de mal pour exploiter son média.
Ce n’est pas tout-à-fait vrai. Le pilote ne commence pas précisément sur cette explication de Twitter. Il commence (ph non, là vraiment ça n’arrange rien à notre affaire) par un flashforward. Je DETESTE les flashforward en début de pilote. Parfois c’est intelligent, parfois c’est joli, parfois c’est pratique, mais même dans ces cas-là, et ils ne sont pas la majorité, les flashforwards dés le début d’un pilote, c’est surtout le truc qui te casse toute envie de regarder la suite, parce que tu connais la putain de fin. Quel est l’abruti qui le premier a cru intelligent de commencer une série sur un spoiler, que je lui fasse la peau ? C’est débile, les flashforwards dés le début. Attendez au moins que quelques scènes d’exposition soient passées, au minimum, merde ! Ah que ça m’agace.
Donc reprenons. D’abord un flasforward. Ensuite un cours très accéléré et simplifié sur Twitter. Sunao ni Narenakute commençait sous de bien mauvais auspices, il faut le dire. Et encore, je ne vous ai pas dit à quel point le flashforward rappelait celui de Last Friends. Ce qui provoque chez moi un certain agacement aussi parce que quand je regarde le pilote d’une série inédite, j’ai la mauvais manie de l’espérer être inédit. C’est un tort que j’ai, je m’en rends bien compte.
Le dossier à charge s’alourdit et pendant ce temps-là, on ne sait toujours pas ce qu’on fait là.
Les protagonistes s’envoient des tweets (qui concrètement ressemblent plus à des mails de groupe qu’à autre chose vu qu’ils font comme s’ils n’étaient que 5 à pouvoir les lire, mais passons, passons), et vient l’irrémédiable moment, typique dans les séries asiatiques, où se produit une coïncidence grosse comme une maison, en fait, deux, même, où deux personnages dont on SAIT qu’ils sont aussi amis sur Twitter se querellent, alors qu’en plus on SAIT qu’ils sont voués à vivre une intrigue amoureuse ; et là on se dit « mais pourquoi, pourquoi, pourquoi je n’ai pas accepté d’aller raboter la corne des pieds de tante Michèle plutôt que de regarder ce pilote ?! ». Avec du gel au menthol badigeonné sous le nez, c’est presque supportable, pourtant, alors : pourquoi ?
Eh bien parce que ces insupportables clichés durent, grosso-modo, une dizaine d’odieuses minutes, et qu’ensuite ça s’arrange. Je sais, ça semble inespéré. C’est pourtant vrai. La parenté de Last Friends prend finalement le dessus pour dresser le portrait de personnes ayant chacune leur souffrance personnelle. Et lorsque les 5 personnages décident de se rencontrer IRL, on comprend aussi, enfin, l’importance de Twitter dans l’intrigue.
C’est que, voyez-vous, nos 5 amis se rencontrent et semblent être des jeunes gens tout-à-fait normaux et fréquentables, mais en réalité, chacun a une blessure à cacher. Certains annoncent rapidement la couleur au spectateur, qui choisit de s’identifier ou non. Le 5e est plus trouble et on n’est pas certain, à l’issue du pilote, d’avoir compris ce qui clochait précisément chez lui.
Attention au spoiler après la virgule, car l’un des personnages est prof débutante mais incapable de s’adapter à son métier et manque de confiance en elle dans tous les domaines de la vie, un autre, d’origine étrangère, se fait passer pour un docteur auprès de ses followers mais est en fait un larbin sans cesse humilié, une troisième craint d’être enceinte et (est-ce lié ?) se scarifie, et un quatrième est ultra-séduisant, harcelé sexuellement au travail, mais absolument incapable d’avoir une érection. On parle donc de problèmes qui, globalement, dépassent le stade de la simple amourette qui tourne mal.
Et c’est donc là que le shaker Last Friends + Twitter fait son effet. D’un côté, on a la promesse d’une exploration sombre et sans (trop) de concession de maux réels et concrets (il y avait le questionnement sur la transsexualité dans Last Friends, il y a les problèmes érectiles dans Sunao ni Narenakute, tout ça part du même besoin de parler de sexualité, chose déjà peu courante si on omet les séries coquines de TV Tokyo, et en plus d’en parler sans donner l’impression que c’est magique et romantique et simple…), et en même temps, on a un drame qui se joue sur le problème des faux-semblants.
Chaque protagoniste a eu la possibilité, via Twitter puis grâce à la rencontre IRL, de dresser un portrait de lui « bien sous tous rapports ». Ah, tu es médecin, génial ! Ah, tu es photographe, cool ! Oh, tu es une jolie fille prête à aller à l’hôtel le premier soir, sympa ! J’exagère à peine. Mais chacun va découvrir qu’en quittant le domaine purement virtuel, en liant des amitiés dépassant ces quelques échanges sur les réseaux sociaux, il va devoir soit continuer à mentir (et le faire avec d’autant plus d’efforts que la vérité sera plus difficile à camoufler), soit devoir se dévoiler.
Ce n’est pas Twitter, c’est tout internet qui soudain est au cœur du débat. La personnalité que vous vous inventez, parfois exprès en mentant sur votre métier en vous prétendant Docteur (et en prenant ce pseudo), parfois inconsciemment en ayant l’air d’un photographe bohème sans penser à mentionner d’autres facteurs de votre vie privée, n’est pas un masque qu’on peut garder longtemps sitôt qu’on franchit le pas et qu’on passe à la « vraie vie ». Le mensonge comme moyen de se faire des amis, mais aussi comme meilleur moyen de les perdre. Maintenir les apparences n’est plus envisageable passé le cap de la rencontre « en vrai », c’est inéluctable.
Dans Sunao ni Narenakute, chacun a ses noirs petits secrets, ses angoisses profondes et sa triste solitude, et de toute évidence, il ne sera pas possible de les cacher aux 4 autres bien longtemps. Pour cela, il aurait fallu rester derrière l’écran. Mais du jour où la rencontre se produit, la suite des évènements ne leur appartient plus.
Sunao ni Narenakute, c’est donc après une heure de tâtonnements et de scènes parfois un peu courues d’avance, un drame profondément humain comme les Japonais savent les faire, avec en toile de fond, une question sur notre rapport à la société aujourd’hui dans le contexte des réseaux sociaux. Comment à la fois cultiver un réseau de connaissances avec qui partager des choses intimes sans risquer de dévoiler ce qu’on ne veut pas dire ?
En se découvrant les uns les autres, les protagonistes de Sunao ni Narenakute, comme l’indique le flashforward, ne sont pourtant pas certains d’être soulagés de leurs souffrances. Et finalement, un peu laborieusement, le pilote définit les grands axes de ses interrogations sur le désespoir de la jeunesse d’aujourd’hui. Ce n’est pas aussi bluffant que le pilote de Last Friends, dont la parenté est évidente pour bien des raisons (le cast n’étant pas des moindres, et si Juri Ueno s’est transformée, Eita n’a pas su pour le moment couper les ponts), mais ça reste un bon pilote.
Ça ne fait donc jamais qu’une série de plus à regarder en ce moment. Je n’en était plus à ça près, de toutes façons.
Je ne sais pas trop si je dois te remercier ou me lamenter de ma pile d’épisodes à voir qui s’allonge à perte de vue, mais, grâce à toi et à ton prosélytisme téléphagique, je viens de regarder mon premier j-drama depuis… sans doute plus d’un an !
Oui, je viens de passer la soirée devant les deux premiers épisodes de Sunao ni Narenakute. Initialement, les références à Densha Otoko et à Last Friends dans ta review m’avaient interpelé. Un groupe d’amis, twitter, pourquoi pas…
Je me suis retrouvée devant mon petit écran, sans pouvoir me détacher de la série, et que dire ? Une chose est certaine, elle figure désormais sur ma pile de séries à suivre dans les prochaines semaines.
En fait, ce drama m’a parlé à plusieurs niveaux.
D’une part, par les thématiques qu’il aborde, comme tu le dis, qui sont à la fois très adultes, des drames ou des difficultés du quotidien qui sont relatées avec une certaine sobriété et on retrouve ce savoir-faire japonais, cette façon de toucher le téléspectateur sans forcer. Cependant, même si le cadre n’est pas toujours très optimiste, l’ambiance n’est pas pesante, il y a des moments d’éclaircies et il y a une vraie vitalité qui se dégage de l’ensemble. Chaque personnage a plusieurs facettes, et cela donne des personnalités potentiellement très intéressantes à explorer. J’ai vraiment beaucoup apprécié la dimension humaine mise en valeur dans ce début. Il y a du matériel pour développer quelque chose de très intéressant.
D’autre part, sur un plan sans doute plus personnel, ce passage du virtuel à la rencontre IRL dresse un portrait qui sonne assez authentique et esquisse effectivement une réflexion sur nos rapports avec les réseaux sociaux. J’avoue que toutes les remarques sur la socialisation des générations actuelles, et la solitude et l’explication des raisons qui les ont motivé à se rencontrer chacun, ce sont des thématiques qui me touchent. J’ai trouvé que cela sonnait très juste.
Donc merci beaucoup pour cette review et pour m’avoir permis cette intéressante découverte dont je vais suivre l’évolution avec attention.
(Par contre, je crains que cela n’ait réveillé le démon du jdrama qui dormait en moi ; j’ai récupéré plusieurs pilotes et me voici curieuse et motivée pour partir découvrir tout cela… Ladyteruki, ton blog est une mine d’or, mais il a un potentiel chronophage et entretient dangereusement les addictions téléphagiques.)
twitter ? mon c** !
En fait de twitter, effectivement ce drama semble présenter un outil de socialisation virtuelle ressemblant à n’importe quelle messagerie, totalement aspécifique… Si on enlevait le terme « twitter » des conversations des personnages, on pourrait croire qu’ils s’envoient des SMS. Bien entendu je pense que ce n’est là qu’un prétexte pour justifier l’intrigue de Sunao ni Narenakute, mais quand même, un peu plus de soin et de précision n’aurait pas été du luxe.
Personnellement, je n’ai pas trop pensé à Last Friends… Jusqu’à une certaine scène du 2e épisode qui me l’a bien, bien rappelé. Et au final, je n’ai même pas été si étonné… Il faut dire qu’à ma connaissance, Last Friends avait plutôt innové en la matière. Donc si ça marche, autant continuer. Je me demande si tu penseras comme moi.
Mais justement, si Twitter sert effectivement de prétexte (et que la série aurait aussi bien pu décider de porter sur Facebook j’imagine… enfin j’en sais rien, je ne pratique pas Facebook), les questions sur le dilemme entre l’identité virtuelle et l’identité réelle restent très bien posées. A ce titre, ce n’est pas si grave, finalement ; on se fiche un peu que la série ne soit pas capable de comprendre le média qu’elle utilise comme outil narratif (et je pense personnellement qu’attendre plus de précision de la part de la série ressemble fort à du prosélytisme pro-Twitter), du moment qu’elle a bien saisi les problématiques qui s’y rapportent.