C’était un bien plaisant mensonge, comme il en existe beaucoup. J’avais très envie d’y croire.
Il y a un an et demi maintenant, j’ai passé un concours pour entrer dans la fonction publique. Je n’avais d’yeux que pour la sécurité de l’emploi. Le reste m’importait peu. Je n’avais pas de plan de carrière, d’ailleurs. Je voulais juste réussir le concours afin de continuer à travailler après mon CDD de l’époque. C’est dire si je n’avais aucune intention d’entrer en politique.
Et pourtant, c’est ce qui s’est produit. J’ai passé le concours avec un succès suffisamment net pour que j’aie le choix de mon affectation. Alors j’ai pensé à entrer dans un cabinet ministériel, parce que je me disais que ce serait un sacré challenge. Ce serait l’endroit idéal pour travailler dur, constamment dans l’urgence, et être entourée de personnes intelligentes au-delà de toutes mes espérances. Travailler dans un contexte stimulant, même quand on n’exerce pas la profession dont on aurait rêvé, ça parait assez parfait, quand même !
Avec le recul (vous allez voir où je voulais en venir…), je réalise que le modèle de cabinet que j’avais dans la tête, c’était celui d’A la Maison Blanche. Et moi, l’assistante, j’allais pouvoir y incarner Donna. Non, attendez, pas Donna. Trop de promiscuité avec le patron. Trop étourdie. Disons plutôt Ginger. Oui, voilà : je serais Ginger ! Ce serait formidable d’être Ginger ! J’avais hâte d’être Ginger.
Quelques mois plus tard, j’ai pris mes fonctions. Et ma vie n’avait rien de commun avec celle de Ginger. Ni avec celle de Donna, ou de Bonnie. J’avais intégré le service de presse du ministre, et je n’étais pas Carol non plus, d’ailleurs. Mes patrons n’avaient rien de Toby, Sam, Josh ou CJ. Et aucun ministre que j’ai rencontré n’avait quoi que ce soit en commun avec Bartlet.
Reality check : travailler dans un cabinet ministériel ne ressemble pas à A la Maison Blanche. Loin de là. Après avoir, en un peu plus d’un an (remaniement gouvernemental aidant), testé le travail au sein de deux cabinets ministériels (de taille, d’importance médiatique, et de fonctionnement différents), je pense pouvoir affirmer que ça n’a même rien à voir.
Et c’est ainsi que j’ai pratiqué ce qui restera probablement comme l’étude comparée téléphagique la plus pénible de mon existence.
Voici donc ce que j’ai appris :
Règle n°1 : les conseillers d’un ministre ne sont pas suprêmement intelligents. Évidemment ils ne sont pas franchement stupides, mais enfin, leur intelligence de flirte pas avec les cimes pour autant. Du plus politique au plus technique, aucun de ces postes ne requiert l’intelligence fine d’un Toby, par exemple (n’évoquons même pas Leo ou le Président). Si un conseiller a nécessairement un certain bagage éducatif (mais ils varient énormément de l’un à l’autre), au quotidien ça reste complètement invisible à l’œil nu.
Règle n°2 : dans un cabinet ministériel, conseillers ne travaillent pas très dur. La première des raisons en est qu’ils ne travaillent pour ainsi dire pas. 90% de leur temps est consacré aux contacts à l’intérieur et à l’extérieur du cabinet. De toutes façons un conseiller ne produit rien, ça c’est l’affaire des assistantes (à l’exception de la rédaction des discours, quand même). Les rapports, les notes, et même dans une certaine mesure, les textes de loi, ne sont pas rédigés par eux. Dans le meilleur des cas, ils synthétisent des documents venant de directions ou d’organismes techniques spécialisés. Mais très souvent aussi, le secrétariat a une bibliographie (composée d’ouvrages techniques, de notes administratives antérieures, de rapports téléchargés sur internet…) soigneusement truffée de post-it et de marques à recopier et compiler, dans un document que le conseiller appellera ultérieurement sa note, son rapport, ou sa thèse lorsqu’il apposera son nom dessus. On imagine le stress que cela engendre.
Règle n°3 : on ne travaille pas vraiment dans l’urgence, quand on est conseiller dans un cabinet ministériel. Il y a évidemment quelques coups de bourre de temps à autres, mais ça relève plus de l’exception que d’autre chose. Pas de stimulation due aux deadlines, pas d’adrénaline, rien. Les conseillers ont un rapport au temps très particulier qui explique cet état de fait : au moment où parait au Journal Officiel leur nomination à leur nouveau poste, ils sont déjà en train de se demander à quoi ressemblera le prochain. Et quand je dis « à quoi il ressemblera », je veux en fait dire « offrira-t-il plus de prestige ainsi que la paie qui va avec ». Avec un remaniement tous les quatre printemps ou presque, le conseiller a la conviction qu’il ne passera pas plus de 6 mois à 1 ans à son poste s’il mène bien sa barque (et si son ministre de tutelle ne déplait pas au prince). Ce qui explique que son temps soit employé à entretenir ses contacts et non à travailler d’arrache-pied.
Telle est, mes amis, d’après mes observations, la dure réalité d’un cabinet.
Oh, vous allez me dire : oui, mais tu n’as pas vu le cabinet du Président ! Eh bien allez-y, allez donc voir, vous viendrez me raconter…
Je n’ai jamais imaginé qu’il pouvait exister un Président comme Bartlet. Il n’est pas réaliste en cela qu’il est trop idéal pour exister réellement. Je n’en ai jamais douté. De la même façon que je n’ai jamais pensé qu’un Josh insolent puisse vraiment exercer son talent pour le sarcasme sans mettre un peu d’eau dans son vin, ou qu’un Toby ne serait pas toléré dans les cercles politiques avides de courbettes.
Mais regarder A la Maison Blanche pendant des années m’avait tout de même laissé espérer qu’on pouvait travailler selon un certain idéal de travail acharné, de volonté de bien faire, et d’intérêt pour le sujet.
Les conseillers de Bartlet s’intéressaient au fond de leur dossier, au sens qu’il était possible de leur donner. Mauvaise nouvelle, je n’ai pas assisté à cela ne serait-ce qu’une seule fois. Et plus le temps passe, plus je pense à cette série, et ça me fait mal au coeur qu’on m’ait menti à ce point-là.
C’était un bien plaisant mensonge. J’avais oublié que c’est là la définition d’une fiction.
J’ai jamais vu « A la maison blanche » (je sais shame on me !), mais j’adore ton article.
C’est fou les idées que l’on peut se forger de la réalité quand on regarde beaucoup trop la tv, parfois ça fait mal de voir les différences, mais très souvent ça rassure aussi de voir que la TV est loin de la réalité (n’est-ce pas les TV-réalité !!!!)
Moi j’aurai bien voulu être CJ dans l’équipe de Bartlet !
Oui, sinon, même si quelque part on s’y attend forcément, à ce qu’on nous mente en permanence sur la réalité des choses dans une fiction, côtoyer de près un sujet ne doit rendre le truc qu’encore plus perceptible (m’est avis que travailler au FBI ou autre n’est pas aussi cool/passionnant non plus que ce qu’on voit à la télé).
Allez, faut pas désespérer, peut-être qu’un jour ça arrivera !