De tous les films que j’ai regardés ces 15 derniers jours (et il y en a eu un paquet, dans une sorte d’euphorie jusque là jamais égalée), The Final Cut est probablement le plus renversant de tous. Alors, plutôt que d’être la millionième personne à vous parler d’un film avec Scarlett Johanson ou Will Smith, je me suis dit que j’allais plutôt faire un post Comme au cinéma avec celui-là. Des fois que.
C’est quoi le nom du film ? The Final Cut
C’est plutôt quel genre ? Tech-noir
Qui on connaît là-dedans ? Au programme et avant tout, Robin Williams, l’homme par qui le cinéma est arrivé dans ma vie il y a 20 ans, et je l’en remercie encore aujourd’hui. Après, personne de très excitant, genre James Caviezel ou Mira Sorvino…
Ça date de quand ? 2004… mais où j’étais en 2004 ? Pourquoi je n’entends parler de ce film que maintenant ?
En résumé, de quoi ça parle ? D’un homme qui fait des montages à partir de la vie d’autres personnes.
En moins résumé, de quoi ça parle ?
Alan Hakman est un monteur qui travaille sur les « films-mémoire » enregistrés tout au long de la vie d’une personne, et récoltés à sa mort afin de servir d’éloge funèbre. Il voit défiler les parties les plus intimes et les plus sombres de leur existence, et les compile pour n’en montrer que le meilleur. Il s’avère être le seul monteur qui accepte les cas les plus douteux moralement, en raison d’une blessure passée qu’il cherche désespérément à se pardonner lui-même.
Et ça finit comment ? Sur un plan fixe…
Pourquoi c’est bien ? The Island, I, Robot, Bicentenial Man, V pour Vendetta… ces derniers temps, les films questionnant la nature humaine ont été nombreux sur mon écran. Avec finalement, toujours la même question : ce qui fait de nous des êtres humains. Voilà un aspect peu ou pas du tout abordé dans les films précités, que The Final Cut explore de façon à la fois précise et évasive : en quoi nos souvenirs participent-ils à faire de nous ce que nous sommes ? Avons-nous besoin de nos souvenirs pour exister ? Pour faire nos choix ? Qui sommes-nous dans les souvenirs des autres ? Ce ne sont que quelques unes des nombreuses thématiques de ce film qui est incroyablement dense de ce point de vue. Le nombre de problématiques que The Final Cut soulève sur la mémoire, le libre-arbitre, les relations sociales… et évidemment, ce que son pitch de science-fiction interroge plus ponctuellement : les conséquences d’une société où nous devenons des caméras nous-mêmes. Imaginez un monde où, même si vous, vous n’avez pas d’implant enregistrant la totalité de vos souvenirs (mêmes les plus triviaux), votre voisin, votre patron, votre petit(e) ami(e), votre marchand de journaux… tous peuvent en avoir de vous. Vous êtes filmé à tout moment, du moins potentiellement. Cela conditionne forcément votre comportement ! Et le plus fou, c’est qu’une personne ne fait pas le choix d’être implantée, elle l’est, par ses parents, avant même la naissance ! Imaginez le nombre de problèmes, de questionnements, que cela soulève ! Les implications d’une telle technologie sont sans limite, on pourrait en parler des heures et des heures ! Il faudrait en faire toute une série, avec un épisode pour chaque axe ! C’est passionnant comme concept !
Pourquoi c’est pas bien ? Contrairement aux films cités dans le paragraphe précédent, The Final Cut n’a rien du film d’action, il a la forme d’un thriller psychologique. Et moi, ça me convient tout-à-fait. Mais je peux concevoir qu’on puisse lui reprocher son rythme, son statisme, ses silences, son personnage principal souvent impassible. Il y a quelque chose de froid dans ce film qui, plutôt que de donner la chair de poule, se contente de donner de la distance. Et la distance de ce film, bien que nécessaire, le rend aussi un peu imperméable par moments. C’est un film assez exigeant, en fait, dans ce qu’il demande d’implication émotionnelle, et tout le monde n’a pas forcément envie de se mettre à ce point dans le bain.
Au rayon des vraies mauvaises nouvelles, j’ajoute aussi la bande-son. Comme vous le savez, je suis assez peu réceptive à ce genre de choses, à moins d’un extrême. Ici, c’est bien simple, on a l’impression que toutes les musiques ont été piquées dans d’autres films/séries/publicités. Et c’est emmerdant de se voir rappeler d’autres univers (je pense notamment à Ultime Recours) dans un film pareil.
Ah, les joies du cinéma ! Si je travaillais dans le cinéma, à quelque poste que ce soit, je pense que je banderais à l’idée de travailler sur un film pareil. C’est quand même le comble du comble, si vous voulez. Le fantasme ultime cinématographique : monter un film avec un monteur comme personnage principal. Réaliser un film avec sur des films-mémoire. Jouer dans un film sur la vraie vie des gens qu’on filme. Braquemard terrible, quand même !
La réplique qui tue : Accaparé par ses interrogations personnelles, Alan se rend chez la famille du défunt sur lequel il travaille actuellement, et interroge la fille de celui-ci en espérant qu’elle l’aide à éclaircir ses propres questions. Sauf que, dans les scènes précédentes, il a été plus qu’insinué (mais pas tout-à-fait explicité) que le père en question avait été par trop affectueux avec la gamine, mais le sujet est tabou et Alan n’aborde pas le sujet frontalement. Pourtant, la petite l’apostrophe :
« Alan… vous allez réussir à réparer les souvenirs de mon papa ?
– …Dans un sens, oui.
– Est-ce que vous pourrez lui faire oublier que j’ai… que j’ai dessiné sur un de ses contrats avec un crayon ?
– Je vais essayer.
– Et que j’ai tiré les cheveux de Doty si fort qu’elle a pleuré ; vous lui ferez oublier ?
– Oui, il oubliera… Mais pas toi, surtout. »
La scène qui tue : Bon, je sais pas si le concept de film-mémoire vous parle beaucoup. Personnellement ce n’est pas la première chose que je penserais à faire dans un monde où on peut enregistrer la totalité des souvenirs d’une personne : prendre le meilleur et le diffuser à ses funérailles. « Moi par moi », post-mortem. Étrange société de fossoyeurs de souvenirs… Mais quand on voit cette scène, on comprend aussi ce que, dans les circonstances si particulières du deuil d’un être cher, cette perspective peut avoir de rassurant (le problème à mes yeux étant que quelqu’un d’extérieur a choisi les images, par contre). Peut-être après tout que j’aurais aimé, moi aussi, savoir que ma grand’mère avait de bons souvenirs de moi...
Et j’ajoute que faire la démarche d’ouvrir un logiciel et de découper cette portion de ce film procure vraiment une sensation déconcertante vu le contexte…
Une note ?
Un film d’autant plus oppressant qu’il ne cherche que très modérément à remplir le rôle du divertissement. En gros, on n’est pas là pour rigoler, se changer les idées ou s’éloigner du réel.
Bilan : En gros, la question, c’est… de quoi je me souviendrai à propos de ce film ? Un miroir de plus, finalement.
Tout au long du film, et bien que happée par l’histoire d’Alan (du sur-mesure pour Williams, ce rôle, j’ai envie de dire d’ailleurs), je n’ai eu de cesse de me poser des questions. C’était quelque part assez excitant d’être mise face à un film qu’on regarde autant sur l’écran qu’à l’intérieur de soi. Est-ce que je souhaiterais une telle technologie ? Très franchement, pour moi qui ai si souvent l’impression d’oublier des pans entiers de mes souvenirs (ce qui fait que j’essaye de mémoriser des dates, des mots et des videos pour m’y raccrocher), ça pourrait sembler une solution parfaite. Sauf que l’idée d’enregistrer ses souvenirs, dans le cas de The Final Cut, se fait avec comme finalité les autres, et non soi-même. On n’est pas censé avoir accès à ses propres souvenirs. Ce sont, à votre mort, les autres qui en « profitent ». Le monteur, d’abord ; et c’est sans doute le plus gênant, d’imaginer cette personne qui peut tout voir de vous, jusque dans vos moments les plus prosaïques. Et puis, vos proches, qui verront une sorte de best-of de vous-même, et chercheront à voir des souvenirs communs dans les vôtres. C’est pas si idyllique que ça, même pour moi.
Il y a des choses que le film n’aborde pas, déjà parce que ce n’est pas tellement son sujet, et ensuite parce qu’on ne peut pas tout faire en 1h30 (je maintiens qu’une série sur ce thème serait formidable). Par exemple l’aspect juridique : peut-on encore parler de délai de prescription quand les faits peuvent ressortir des décennies après s’être produits ? Vous imaginez si la petite fille prenait un avocat, dans 10 ou 20 ans, et que celui-ci trouvait le moyen d’avoir accès aux films-mémoire du père ? Elle obtiendrait une reconnaissance de ce que tout le monde lui nie, grâce à ces enregistrements. Je pourrais tuer pour ça, pour avoir des « preuves », pour qu’il soit impossible de faire semblant, pour que ce soit su par tous. Et juridiquement, ça transforme une société, des avancées pareilles. Surtout avec ce que pose le problème de la subjectivité, et donc de la différence entre réalité et vérité.
Parmi les sujets effleurés, il y a la société Big Brother qui se profile derrière tous ces enregistrements. Non qu’on veuille vous surveiller, mais vous l’êtes tout de même, et on vous verra dans les films-mémoire des autres dans plusieurs années, vous serez figurant, ou rôle majeur, mais vous serez là, votre histoire n’a pas droit à l’oubli, finalement. Il y a aussi la problématique liée au fait que les implants sont mis en place avant la naissance, donc sans le consentement de la personne. Déjà sur un plan éthique, c’est de la folie que la société de ce film l’ait accepté (en grande partie disons – et les arguments contre sont diversifiés, et plus ou moins sensés). Et puis naturellement, vient le moment de la découverte… comme cette femme qui a changé de vie du jour au lendemain parce qu’elle a compris que tous ses actes seraient visibles après sa mort. Donc jugés…
Et puis, franchement, les souvenirs de The Final Cut sont factuels, et ça c’est assez dérangeant aussi. Pour des raisons aussi bien cinématographiques que logiques, on n’aborde pas un problème majeur de l’implant : il enregistre du son, des images, mais pas de pensée. Est-ce que ça ne change pas tout, pourtant ? Si on regarde le film-souvenir d’une personne en train de se raser, le plus intéressant, ce qui nous rapproche vraiment d’elle, n’est-ce pas de savoir ce qu’elle pense à ce moment-là ? Savoir si elle se posait des questions, appréhendait sa journée, se faisait une joie de vous retrouver… Je crois que c’est certainement la clé la plus importante pour avoir accès à l’histoire de quelqu’un. Évidemment, au moment de l’éloge funèbre, on ne veut pas savoir si untel se demandait pourquoi la Terre est ronde plutôt que carrée en se rasant, mais au final, on aimerait apprendre quelque chose sur les gens qu’on a côtoyés, non ? Et si cet homme que j’ai toujours pris pour un type renfermé avait en fait une vie intérieure extraordinaire ? Quelle merveilleuse découverte ! Et si j’arrivais à comprendre ce qu’il pensait au moment de faire telle ou telle chose, est-ce que ma compréhension du monde ne s’en trouverait pas améliorée ? La société de The Final Cut passe à côté de bien des choses, mais c’est un choix (et une limitation technologique sans doute aussi). Reste que ça ouvre des portes fascinantes !
The Final Cut a trouvé un thème si génial qu’on en demande plus sur son univers. Il faudra se contenter de l’anecdote de ce monteur tourmenté et de sa recherche à la fois d’intimité et de vérité. Et franchement, ce n’est pas l’objet d’une déception à mes yeux, ce n’est pas différent de regarder l’Histoire via une histoire personnelle. En cela, The Final Cut est l’un des meilleurs films du genre dont on puisse rêver, finalement. Parce qu’il n’a pas l’ambition de dépeindre un monde, mais juste de raconter une histoire qui se passe dans ce monde. D’ailleurs, son idée de la technologie (aussi bien des structures relatives au montage que sur les immeubles, les voitures…) est si sommaire qu’on est loin des m’as-tu-vu que je citais plus haut (même V pour Vendetta semble en faire des caisses à côté). C’est même assez étrange, ce choix de faire se dérouler pareil film dans un monde ressemblant aux années 50… je ne me l’explique pas tellement mais pourtant, ça colle.
Tout cela est si perturbant et intrigant, donne à la fois une envie de curiosité et une leçon de réserve, qu’on ne peut qu’être impressionné, au final, par ce que ce petit film canadien méconnu au budget probablement limité parvient à accomplir.
Sa sortie en 2005 (en France) est passée quasi inaperçu parce que Johnny Beurk Depp (avec Neverland), et Ray lui ont fait de l’ombre, malheureusement !
SInon y’a aussi Stephanie Romanov qui joue dedans (oui bon je sais on s’en fout un peu ! ) !
Pas grand chose à dire ou à rajouter, si ce n’est que tu m’as bien donnée envie de revoir ce film que j’adore !
Et à moi, tu m’as donné envie de le voir. Merci !
C’est étrange comme je suis passé à côté de ce film. Merci pour la critique, moi aussi tu m’as donné envie de le voir