Je lance une hadopienne cagoule et réduis la fenêtre ; mon fond d’écran s’affiche alors. J’aime beaucoup mon fond d’écran, la meilleure preuve c’est que je l’ai depuis plusieurs mois alors que d’ordinaire je suis plutôt versatile de ce côté-là. Vous savez ce que c’est avec les fonds d’écran : on le choisit parce qu’on aime sa combinaison de facteurs positifs (ce qu’il représente, sa mise en images, son aspect fonctionnel s’il y a lieu), et passée la lune de miel de quelques jours, on n’y prête plus vraiment attention. Mais je devais être fatiguée parce que mon regard s’est attardé sur mon fond d’écran pendant plusieurs minutes. Et j’ai ressenti cette impression un peu geek qui ressemble à une petite voix murmurant « ouais, il est bien ce fond d’écran ». J’aimais vraiment bien cette image sur le coup. Et puis, comme si mon cerveau s’éveillait de sa rêverie, je me suis dit que cette image n’existait plus à l’heure où je la regardais. Le décor a sans douté été démonté depuis belle lurette, par exemple. La personne a probablement enduré des changements de looks depuis, ou tout simplement a deux ans de plus. En fait, cette image n’existait que pour moi, en cet instant, et plus du tout pour le reste du monde. Et surtout pas pour ce qui y figure.
C’est là que ça m’a frappée.
Quand on regarde une série, on regarde toujours des images mortes. Comme l’éclat d’une étoile lointaine. On la voit alors qu’elle n’existe plus. Tout le principe d’une série est de regarder non seulement une fiction, mais en plus des images qui n’ont plus de réalité. Quand je regarde un épisode de Three’s Company, je regarde une histoire qui ne s’est pas déroulée, des personnages qui n’existent pas, mais aussi un décor qui est tombé, un acteur qui a disparu, des actrices qui ont vieilli.
Le téléphage a-t-il l’âme d’un nécrophage ? Au, au mieux, d’un nostalgique s’absorbant dans des images qui, quand elle lui parviennent, ont forcément déjà pris de l’âge ?
Ce même téléphage entretient un étrange rapport au temps ; il découpe son monde en saisons (avec la saison normale d’une part, et la saison estivale d’autre part), il compte non en années mais en saisons (ce qui dans des cas comme par exemple 24 fausse le calcul), il est capable de faire un bond dans le temps pour suivre les procédés « d’avance rapide » (comme pour Desperate Housewives ou One Tree Hill), il s’attèle chaque semaine à la découverte d’un nouvel épisode, il attend la résolution d’une enquête en 45 minutes, mais aussi, nos lisons des sites qui tous sans exception datent les séries et les épisodes que nous regardons.
En fait, j’ai l’impression que cette façon de se donner des repères temporels comme ceux-ci est de nature à essayer d’organiser le chaos du temps télévisuel. D’ailleurs le simple fait de dater une série est une tentative désespérée et vaine de vouloir marquer le calendrier d’un jalon imaginaire.
Récemment, en lien avec ma participation au sein de SeriesLive, je me suis posée la question : comment définit-on la date de création d’une série ? Lorsqu’elle est mise en chantier ? Ça semblerait logique. Lorsqu’on annonce sa naissance (ou en tous cas la commande de n épisodes) ? Lorsqu’elle parait pour la première fois sur les écrans ?
Il faut bien avouer que le téléphage même rôdé peut s’y perdre, et n’a pas forcément accès toutes ces informations. La date à laquelle le projet est mis en branle est par exemple totalement secrète : à moins de connaitre le scénariste par tel ou tel biais (il tient un blog, il a un compte twitter…), il est impossible de savoir qu’il a un projet. Et il peut se passer des années avant que le projet trouve enfin une chaîne qui accepte de lui donner de l’attention. Et il peut encore se passer des mois avant que la commande ne soit faite, et avant que le pilote ne se tourne, et avant que la série ne soit officiellement achetée, et avant qu’elle ne fasse ses débuts sur la grille. Mais nous aimons bien penser que nous savons de quand date une série. Ça nous rassure.
Et puis, nous autres, les téléphages internautes (mais en existe-t-il encore qui ne soient pas internautes ?), nous avons en plus le culte de l’immédiateté, propre à internet, qui nous hante : voir un épisode au plus vite, lire la news en temps quasi-réel, en discuter aussi vite que possible avec d’autres de notre espèce…
Notre rapport au temps est donc complètement erratique. C’est pire encore pour ceux d’entre nous qui, curieux, font des bonds télévisuels dans le temps pour aller regarder une série qui aurait été loupée au cours d’une saison passée.
Alors pendant que mon regard caressait cette image, sur mon écran, cette image si terriblement inexistante quelque part, je me suis dit que c’est un inconvénient que n’ont pas d’autres passionnés. On peut assister à un concert en direct, faire un sport en direct, jardiner en direct… ces activités ne se pratiquent même que de cette façon. Mais la téléphagie est résolument vouée à se vivre hors du temps.
C’est vraiment un sentiment étrange que de se dire que, quelle que soit la série qu’on regarde, on ne regarde que le vestige de ce qui a existé et disparu depuis. Ça me rend assez mélancolique, je dois le reconnaître.
Il y a une exception à la règle : l’épisode d’Urgences 4×01 joué et diffusé à l’époque en direct sur NBC mais aussi sur France 2…
Mais à partir du moment où tu regardes une fiction, ce n’est par définition pas la réalité donc elle se vit hors du temps et de l’espace, non? Ce n’est pas parce qu’une série/livre/film est « ancien » qu’on n’en profite pas, qu’il ne déclenche pas chez nous des émotions, des réflexions, qui elles sont bien dans le présent. (oulà je réfléchis un peu trop moi, ça y est je suis en surchauffe…) Et puis bon, si on aimait la réalité et le direct, on passerait notre vie dehors au lieu de regarder toutes ces séries
Pour la date de création, effectivement, c’est une bien belle question… J’avoue que vu mon système pour mettre des dates sur mon blog, je ne me la pose pas !
La comparaison avec les étoiles est en effet assez intéressante.
Le paradoxe, c’est que les séries sont à la fois hors du temps, comme tu le démontres, et qu’elles sont dans l’air de leur temps (pas toutes, pas toujours, mais la plupart… Même quand elles sont historiques). De quoi devenir schizo en gros (temporellement parlant au moins).