Il y a les séries dont on regarde la fin, et les séries, plus rares, dont on regarde le final. Celles qu’on sait qu’on ne reverra plus, et celles auxquelles on fait ses adieux. Et vous savez de laquelle je vais parler ce soir.
Il y a 15 ans, où étais-je ? Je n’étais pas devant Urgences, ni à ce moment-là ni avant plusieurs années. Et pourtant aujourd’hui, c’est le cœur serré que je regardais chaque fondu au noir annoncer que l’épisode tirait à sa fin, et la série avec elle.
Et je ne peux m’empêcher de me dire que c’est l’essence-même de la téléphagie que de vivre une histoire pareille avec une série. On l’ignore, on la rate, on la dévore, on la regarde de loin, elle surprend, elle déçoit, elle amuse, elle émeut, parfois on en a juste marre, parfois on en voudrait vraiment plus, et pendant 15 ans, pas à pas, saison après saison, avec voracité ou détachement, les épisodes se succèdent et on se crée sa propre histoire : l’histoire du téléphage et d’une série parmi tant d’autres. Une histoire unique, une histoire compliquée, faite d’élans et de retenue, les soirs avec et les jours sans, en intraveineuse trois épisodes à la suite ou en piqûre de rappel en fin d’après-midi en semaine… d’une façon ou d’une autre, j’étais bien obligée d’avoir une histoire avec Urgences, comme tous ceux de ma génération de téléphages.
Qui, il y a 15 ans, a regardé le pilote en se disant : « ça c’est une série qu’on va regarder pendant une décennie et demie » ? Je ne pense même pas qu’à NBC quelqu’un ait su que cette série aurait une histoire si longue avec qui que ce soit. Elle aurait pu vivre le destin de Chicago Hope, après tout, alors qu’elle lui a survécu, plus longtemps et plus loin.
Mais du début à la fin, malgré les cahots de la route et les errances du cast, Urgences a su, semaine après semaine, insuffler la vie ; dans ce huis clos entre quelques murs verdâtres, nous nous sommes sentis accueillis, chez nous, nous avons appris qu’il était possible de faire un divertissement accessible au plus grand nombre sans renier la qualité, nous avons appris qu’une série est capable de mémoire et d’engagement politique sans se mettre à dos la plupart de ses spectateurs, d’où qu’ils viennent, nous avons appris, tant appris… Combien d’entre nous ont découvert la téléphagie dans les bras d’Urgences ?
Une page se tourne pour beaucoup d’entre nous, quels qu’aient été les parcours avec cette série. C’est l’esprit d’une époque télévisuelle qui s’achève. De nouvelles modes ont succédé, de nouvelles façons de faire. Urgences était à mon avis toujours capable du meilleur, mais un meilleur qui n’avait plus cours. Ce n’est pas tant une baisse significative de qualité qui a provoqué sa disparition, que le fait que la plupart des spectateurs étaient passés à autre chose. Pourtant dans quelques années, un peu plus peut-être, un nouveau drama médical verra le jour, et sera comparé à Urgences, qui en sont temps avait été comparée à Saint Elsewhere… il y aura des éléments nouveaux, et les éléments impérissables qui nous ont fait aimer Urgences parce que c’était la série de notre génération.
Dans 15 ans, j’ai hâte de regarder le series finale d’une autre grande série qui aura survécu aux épreuves du temps. Hâte de dire adieu à une autre grande série que peut-être je ne regarde même pas encore aujourd’hui. Mais avec l’adieu à Urgences, j’ai aussi eu l’impression de dire adieu à un certain genre de séries, des séries sachant jongler avec leur média et leur honnêteté pour vivre une aventure couvrant 15 années de rebondissements et de pertinence, un regard porté sur le monde en même temps que les arguments pour que le monde ait les yeux braqués sur la série, oui, avec Urgences, c’est quasiment le dernier dinosaure qui disparait, et je crois que c’est pour ça aussi que j’ai pleuré, ce soir, comme un petit deuil que seuls les téléphages connaissent.
Des visages, des sons, des images, qui ne nous quitteront pas. Merci Urgences, pour 15 années d’histoires, et aussi, pour avoir su nous donner la dernière saison dont nous rêvions.
Et merci, aussi, pour nous avoir donné des adieux sans nous donner de fin.
Et pour ceux qui manquent cruellement de culture : la fiche Urgences de SeriesLive.
Si, si, il y a bien eu baisse de qualité… Baisse de tension… Histoires capillotractées en plus… Quand la série s’est amusée au cliffhanger, la première fois, ça allait… Les autres, beaucoup moins (ah Neela piétinée par la foule, ça restera sans doute aussi mythique le cliffhanger aux crabes de Dolmen). Il suffit de regarder aussi les exercices de style pour voir que la série n’était plus ce qu’elle était dans les dernières saisons (ils sont réussis jusqu’à la saison 12 je crois, après…).
Bon, perso je n’ai pas appris ma téléphagie avec Urgences, je m’y suis mis tardivement (à un peu plus de la moitié de sa vie)… Et je n’ai malheureusement pas ressenti cette émotion qui aurait pu être poignante en zyeutant les dernières aventures des médecins. Certes, on se dit qu’on vit les dernières aventures et en même temps il manque la petite étincelle… Non, je n’aurai pas pleuré devant ce final. Ni même vraiment eu la boule à la gorge (alors que ça avait été le cas pour Six Feet Under et que j’ai fini par ne plus particulièrement aimé la série plus que ça…)
Quant à ce qui est de l’extinction d’un genre… Peut-être, mais pas bouleversifier non plus.
(Et non, non, ce n’était pas vraiment la saison dont je rêvais ! )
Ce sera pas dans 15 ans (ou p’têt que si, on sait jamais), mais le prochain Urgences pourrait être Les Experts (à moins qu’elle ne suive la trace de New York jenesaisplustroquoi)