Enjeux… feu !

14 juillet 2009 à 13:55

L’un des rares reproches que j’ai vu adresser à Nurse Jackie, c’est que la série n’a pas d’enjeux. Il est vrai que son pilote atypique n’offrait pas la structure familière du « on vous présente la situation, et on la fait voler en éclats pour créer du suspense », qui est la formule traditionnelle pour une immense majorité d’épisode inauguraux. Ici, ce qui perturbe sans doute certains spectateurs, c’est qu’il n’y a pas d’élément perturbateur. Et bien que je conçoive que ça puisse être destabilisant, je ne parviens pas à comprendre que ce soit retenu contre la série.

Ce que Nurse Jackie n’a pas fait avec ses premiers épisodes, c’est créer un suspense. Ce qui à mon sens est très différent de l’absence d’enjeux dont on accuse la série. Jackie est une infirmière versatile, adultère et droguée. Il me semble que, rien qu’avec ça, les enjeux ne manquent pas. Mais on dirait qu’il en faudrait plus encore. Qu’explicitement, quelqu’un sache qu’elle trompe son mari, qu’elle travaille complètement shootée, etc… Si quelqu’un avait par exemple découvert les parties de jambes en l’air de Jackie, là, il y aurait de l’enjeu, il apparaitrait comme par magie. L’explicitation permet de rendre le suspense plus tangible. Mais je trouve au contraire qu’une telle manoeuvre relèverait de l’artifice scénaristique, et ôterait de la subtilité à la série.

Ce que Nurse Jackie ne fait pas, en s’arrangeant pour que seule Jackie ait conscience de ses péchés, c’est donner la facilité qu’offre le jugement d’un tiers. Je soupçonne que le jour où la série tombera dans ce piège, je l’apprécierai beaucoup moins, d’ailleurs (mais peut-être que je parle un peu vite, j’ai deux épisodes de retard à rattraper). Je trouverais dommage qu’on me mette le nez dans les cas de conscience de l’héroïne par le biais de ressorts éculés, alors qu’il suffit de la regarder se battre contre elle-même, et s’accepter elle-même, pour voir tout cela déjà. Les enjeux n’ont pas besoin qu’on les pointe du doigt pour exister à mes yeux, et surtout pas avec des retournements de situation artificiels.

Mais il est vrai que je ne suis pas impartiale dans cette affaire. Depuis toujours, je suis amatrice d’histoires où, techniquement, il ne se passe rien. Où l’on ne sacrifie pas au schéma « intro – acte 1 – élément perturbateur – acte 2 – retournement de situation – acte 3 – épilogue« . Où l’on se contente de construire un enclos scénaristique où les personnages peuvent s’ébattre et se révéler à nous sans qu’on les trimbale de péripétie en péripétie. Je n’y peux rien, j’aime les portraits. Les portraits qui se transforment à vue d’oeil et d’eux-mêmes, comme pour Dorian Gray. Seul le temps fait avancer l’histoire, pas les gadgets scénaristiques usés jusqu’à la corde. Exactement comme dans la vie, il n’arrive pas un truc par semaine, mais ça ne nous empêche pas d’évoluer.
Il y a 10 ans, j’évrivais principalement des nouvelles, et une amie m’avait convaincue de faire lire à une critique litéraire de ses connaissances l’une des mes créations. Son verdict : « on ne voit pas où tu voulais en venir ».
Nulle part. Tout ce que je cherchais à faire, c’était dérouler le fil de l’existence de mon personnage, le découper sur un petit segment et passer ce dernier à la loupe. En soi, il n’y avait ni début ni fin d’ailleurs. C’étaient juste plusieurs mois dans la vie de mon personnage.

Si je peux aujourd’hui imaginer que ce soit un peu étrange dans le cadre d’une nouvelle, où le format court appelle à plus de conventionnalisme structurel, j’avoue ne toujours pas comprendre que ça pose problème dans le cadre d’une série où, tout justement, on a tout loisir de regarder les personnages grandir et évoluer, sans se soucier d’avoir une date de péremption (ou si peu).

Parce que des enjeux, il y en a toujours, dés qu’un personnage est bien décrit. La seule chose qui varie, c’est si on va vous forcer à vous enquérir de ces fichus « enjeux » à l’aide du scénario. C’est un peu la solution de facilité, quand même. En ce qui me concerne, je n’ai pas besoin de ça devant Nurse Jackie, et j’apprécie que cette série soit suffisamment intelligente et subtile pour me l’épargner.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. maxwell dit :

    Je me suis dit en lisant ton post que tu devais adorer Mad Men car c’est la critique qui revient souvent sur la série « Il ne s’y passe rien », c’est pourtant une série que j’aime beaucoup.

    Dans le cas de Nurse Jackie, je continue à avoir cette désagréable impression qu’on confine son personnage dans une sorte de zone de confort scénaristique alors qu’elle mériterait beaucoup mieux que ça. Elle est droguée, trompe son mari, etc… mais tout ce qui se passe est quand même assez « lisse » pour l’instant.

    Donc j’attends toujours la suite en espérant qu’on en est encore à planter le décor

  2. Nakayomi dit :

    Ca dépend comment il ne se passe rien et dans quel contexte, mais parfois, ça peut se laisser regarder. Je n’ai pas d’exemple en terme de série live qui me vienne à l’esprit, mais par exemple, dans l’animé Ailes Grises, il ne se passe effectivement rien mais ça reste fascinant (de par le ton notamment).

  3. lowtekh dit :

    Ton (vieil) article est passionnant et pointe un truc important: la tendance à la dramatisation excessive. La maladie est souvent un ressort facile dont peut user très tôt une série pour faire monter ses enjeux narratifs (je ne parle pas de Big C bien sur, dont c’est le sujet central, mais plutôt de Breaking Bad, pour faire suite à ta remarque très juste, ou plus récemment la série Boss (2011) à laquelle la maladie n’apporte pas grand chose).

    Ceci dit l’addiction aux drogues de Jackie est déjà un enjeu fondamental en soi, car il va bouleverser ses rapports avec tous ses proches. Mais c’est un enjeu qui agit en arrière-plan la plupart du temps (même s’il re-surgit violemment de temps en temps) , sans étouffer l’histoire ni les personnages secondaires (tous superbes dans Nurse jackie). A ce niveau c’est très réussi. C’est l’exact opposé de Desperate Housewives qui est constamment en train d’injecter des nouveaux enjeux narratifs pour maintenir ses personnages en état de survivance artificielle.

    Les « enjeux » dont tu parles, les plus artificiels, pourraient d’ailleurs faire l’objet d’une liste assez cruelle…Mais les séries les plus importantes ont moins des enjeux que des thèmes autour desquels ils tournent patiemment.

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