Ouvre-moi ta porte

2 juillet 2009 à 6:39

La raison d’être de cette catégorie a toujours été de me demander quelles valeurs les séries nous transmettaient par le biais de la fiction. La question sous-jacente, c’est ce qu’une série étrangère nous apporte sans le savoir sur une culture donnée. Un sujet qui m’a toujours intéressée : déjà lors de mon premier passage sur les forums de SeriesLive, j’avais créé un sujet sur les choses que nous avions ingérées via des fictions étrangères, et admises comme faisant partie de notre propre culture. De mémoire, on trouvait dans les réponses des comparaisons sur l’existence (ou non) de casiers en milieu scolaire dans plusieurs pays, ainsi qu’une interrogation similaire sur les bals de promo (et peut-être même une référence à Juliette, je t’aime mais je suis plus très sûre). J’ai quitté le lycée en 2000, et je n’avais connu ni l’un, ni l’autre de ces éléments de la vie lycéenne. A mon grand étonnement.

Parce qu’ils nous ressemblent physiquement, et parce que nous vivons dans un pays où l’on craint leur invasion culturelle en permanence, nous avons souvent l’impression de partager une même culture avec nos voisins d’outre-Atlantique. La fréquentation d’américains bien réels, et non fantasmés, nous permet de rendre conscience de notre erreur, mais tout le monde n’a pas cette chance. Du coup, lorsque nous sommes confrontés à un fossé culturel, au lieu d’en constater sagement l’existence , nous tentons de le traverser comme s’il n’existait pas. Et bien-sûr, nous chutons.
C’est à mon avis de ce type de malentendu que proviennent les remarques rageuses ou condescendantes à l’égard des séries et/ou épisodes un brin trop prosélytes à notre goût, comme 7 à la Maison ou plus près de nous, The Secret Life of the American Teenager. Nous avons tendance à oublier que la religion fait bien plus partie de leur culture que de la nôtre, et nous avons du mal à l’admettre, l’accepter, l’interpréter comme une marque d’exotisme. Les réactions épidermiques viennent de la déception : nous n’avons pas pu nous identifier à 100%. Ce devrait pourtant être évident.

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Car la vérité vraie, c’est qu’avant tout, une fiction est écrite pour le territoire qui la voit naître. L’exportation ne tient qu’une place pécuniaire dans la démarche. Bien rares me semblent être les auteurs qui se disent « ah zut, ça va pas énerver les Français cette blague sur les gens qui ne se lavent jamais ? » ou « Je me demande si un Égyptien saisira ma référence à Waco ».
Et vous savez quoi ? C’est tant mieux. C’est quand même aussi ça qui fait l’intérêt d’une fiction made in ailleurs : plus qu’un divertissement, elles proposent entre autres de s’imaginer pendant 45 minutes assis sur un sofa de l’autre côté de l’océan. Une aventure forcément enrichissante.

Cette problématique apparait de façon plus flagrante avec des fictions non-occidentales.
Depuis quelques temps, je vous présente des séries nippones, par exemple. Et un peu plus souvent ces dernières semaines, merci d’avoir remarqué. Je sentais dans vos commentaires (mais je peux me tromper) à la fois de la curiosité et de l’appréhension. Et j’aurais tendance à trouver ces deux réactions toutes naturelles.
Alors, pour parvenir à faire 10km dans vos chaussures, j’ai regardé mon tout premier drama coréen il y a quelques jours : City Hall. Une série taiwannaise devrait arriver dans ces colonnes sous peu également, d’ailleurs. Je voulais en fait expérimenter ce qui m’a toujours semblé évident (certainement parce que j’ai commencée à être immergée tôt, à une époque où je n’avais ni l’idée ni les moyens d’aller vérifier le pays d’origine d’une série sur internet), à savoir aborder une autre culture par la popculture.

De la Corée, je ne sais rien ou quasiment. A contrario du Japon, je n’ai jamais spécialement tenté de m’instruire ni me documenter sur un aspect ou un autre du sujet. Et si, de temps à autres, j’écoute quelques chansons du cru, je ne vais jamais plus loin.
En-dehors de la langue en elle-même, je n’ai pourtant pas ressenti de jet lag. Ca ressemblait, en définitive, aux réactions de Scarlatiine devant sa toute première fiction japonaise : « ah, tiens, ils font comme ça, eux, ah bon, bien ». Ce n’est donc pas si dur de regarder une communauté de personnages qui agissent selon des codes différents (c’est même souvent ce que s’escriment à faire les auteurs des séries de science-fiction, avec plus ou moins de succès ; une pensée d’ailleurs pour Alien Nation). Évidemment, il faut un peu de temps pour intégrer ces mêmes codes (plus qu’un pilote, de toute évidence), mais en-dehors de quelques variations, on se rend compte (et là, attention au choc) que ces personnages ne sont ni plus ni moins faciles à comprendre que n’importe quels autres.

Finalement, les codes et us sociaux sont purement cosmétiques. Il y a quelque chose d’universel dans ces fictions, qui fait qu’elles s’adressent aussi bien au spectateur local qu’à celui, éloigné mais curieux, qui leur donne leur chance. Il n’y a rien d’insurmontable.

Tout au plus, ce qui varie, de la fiction d’un pays à un autre, et croissant avec le nombre de kilomètres de distance, c’est plutôt la façon de faire des séries. Le ton, les moyens techniques et financiers, et le registre des acteurs, ont tendance à marquer beaucoup plus nettement le décalage horaire.
Au départ, une fiction japonaise donne l’apparence d’un travail un peu amateur. Or, plus on en regarde, plus on réalise que c’est surtout la marque d’un attachement aux détails, des choses du quotidien que bien des occidentaux ne goûtent même plus, des éléments relevant à la fois du détail et de l’évident.
Ces nuances sont peut-être les plus difficiles à affronter pour le néophyte. Mais elles sont du domaine du contenant, et non du contenu.

Pour moi, la meilleure preuve qu’on peut à la fois en apprendre sur une autre culture par la fiction, et s’y adapter sans problème, c’est par exemple le souvenir de mes camarades de Terminale qui voulaient organiser un bal de promo. Elles n’étaient même pas des téléphages nourries au sein nourricier de la fiction américaine. Mais de façon perméable, tout de même, elles en avaient intégré l’un des rites.

J’en arrive là où, en fait, j’ai toujours été : j’agite mon drapeau (violet) en faveur de la curiosité, et du droit d’y succomber sans encombre. J’ai regardé ma première fiction coréenne il y a moins d’une semaine, et j’admets avoir noté des différences qui ne me rendaient pas les situations parfaitement identifiables comme des références par rapport à mon propre vécu, mais désolée, ça ne m’a pas empêchée de regarder tout le pilote, et je n’en finis pas de me demander pourquoi, si moi, petite lady, je peux le faire, les patrons de chaîne ne pensent pas que d’autres pourraient le faire. Je suis pas plus ouverte sur le monde qu’un autre français. Vous savez, la France. Le pays de l’exception culturelle. Tellement exceptionnelle qu’on n’y a pas accès à celle des autres.

Pourtant, si des télespectateurs avaient la possibilité, comme je l’ai eue, de regarder une série venue de l’autre bout de la planète, en commençant à être immergés tôt, à une époque où ils n’auraient ni l’idée ni les moyens d’aller vérifier le pays d’origine d’une série sur internet…

Vous savez… mais si vous savez ! Il y a toujours un imbécile, au cours d’une conversation, pour soutenir votre regard avec dédain et s’exclamer : « de toutes façons, les séries américaines, c’est d’un con… », et vous serrez le poing, et vous serrez les dents. Au prochain coup, pensez à lui demander de quel pays il préfère ses séries. Il en découlera alors soit un remontage de bretells en règle, soit la conversation téléphagique la plus captivante de votre existence.

Pour info, depuis deux semaines que j’ai ce post en tête, je me suis lancée sur la piste de séries grecques, russes et égyptiennes, dans l’espoir de préparer ce post. Je n’ai jamais lu autant de sites en arabe, ni visité autant de sites basés dans l’Est. Et quelque part, ces fouilles, c’était déjà une aventure en soi. Mais quand je parvenais à en cagouler une, les sous-titres manquaient dramatiquement.
Quand je parvenais à en cagouler une…

Merci, donc, à toutes ces chaînes disponibles en France, et qui partagent ce point commun : aucune ne diffuse de série venant d’un autre continent que l’Europe ou les États-Unis. Merci, oui merci, de me forcer à stagner dans mon ignorance.

Tout ce que je demande, c’est qu’on m’ouvre la porte vers d’autres mondes.
N’est-ce pas là ce que tous nous voulons ?

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7 commentaires

  1. Scarlatiine dit :

    Très bel article, encore une fois

    Je dois bien avouer si mon avis avec le temps s’est « adouci » pour « 7 à la Maison », je n’y arrive toujours pas avec « The Secret… ». Comme tu dis, la religion fait vraiment partir intégrante de la culture américaine, mais là, on nous la présente comme la vie de L’adolescent moyen (voir le titre) et c’est en ce sens-là que j’ai le plus de mal. Bon, en même temps, en tant que nostalgique intemporelle de « La Petite Maison dans la Prairie », j’en aurais aussi beaucoup à dire de ce côté-là ^^

    Moi aussi, j’ai quitté le lycée en 2000, par contre, j’ai eu des casiers. Pas ceux comme dans les séries américaines, certes, des cubes en fait, mais j’en ai eu . On avait aussi envisagé un bal de promo (enfin, on… je parle des élèves en général), et puis on s’était dit que si c’était juste pour faire comme dans les séries, ce n’était pas la peine.

    Pour les autres cultures, je suis facilement dépaysée en fait. Il suffit qu’on conduise à gauche et qu’on boive du thé à 5 heures, et ça donne un côté exotique à mes yeux ^^ Ou qu’on fête Noël en plein été, que le Bundestag passe en arrière-plan, qu’on aperçoit un drapeau rouge et blanc avec une feuille d’érable,…

    Maintenant, j’avoue, je n’ai jamais été plus loin. De loin en loin, je dois avoir vu quelques épisodes de télénovela, mais pas plus. Le problème de langue, premièrement (tu lis l’arabe ? Moi qui ait déjà du mal avec seulement l’anglais ), et puis la flemme. Oui, je me doute qu’il y a des séries grecques, turques, albanaises, mongoles, argentines,… mais les chercher… pff, trop fatiguant pour moi ^^

  2. ladyteruki dit :

    En fait je me suis mal exprimée. Je lis le Russe (parler de déchiffrage serait même encore plus juste, je n’en ai fait que 3 ans, avant de quitter le lycée… tu le vois, ça date) mais pas l’Arabe, par contre étant habituée à faire des recherches sur des sites étrangers, par exemple en Japonais dans le cadre de Teruki Paradise (mais aussi parfois en Espagnol que je n’ai jamais parlé, en Chinois, etc… à cause des sites de fans actifs qu’il faut savoir déchiffrer), l’un dans l’autre, j’ai envie de dire qu’on prend certains réflexes linguistiques, on finit par mémoriser visuellement les mots utiles. Je ne sais pas donc pas lire l’Arabe mais je sais de mieux en mieux repérer les infos utiles sur un site arabe sans cliquer partout en vain.

  3. Maxx dit :

    je ne peux qu’être d’accord sur le fait qu’il est quasi impossible de voir des séries en dehors des séries anglophones et francophones. (et allemandes c’est vrai)

    J’aurais rien contre à tester d’autres séries mais la plupart, y a des séries qui mériterait d’être notamment en amerique du sud. L’argentine et le brésil font de bons drama malheureusement bien souvent il y a la barrière de la langue.

    je suis déjà tombé sur des séries russes ou turques, mais sans au moins des sous-titres anglais, on perd trop en compréhension pour juger de la qualité.

    Pour le moment je pense que j’ai du m’arrêter à 20 nationalités mais ça fait un moment que c’est bloqué à ce chiffre

  4. Scarlatiine dit :

    En fait, c’est comme les films… Dans ma petite ville de province, les films autre que anglo-saxons ou français qui sont diffusés doivent se compter sur les doigts d’une main. Alors soit on a la technique du cagoulage (mais il faut trouver au moins des sous-titres en anglais), soit il faut partir pour la grande ville à une heure de route de là – et encore, pas sûr d’en trouver non plus, soit… rien. Et j’avoue, la solution la plus souvent utilisée, c’est la dernière.

  5. Très intéressant, cet article, vraiment.

    Par contre, je ne te suis pas complètement quand tu qualifies de « condescendant » de possibles avis critiques quant au religieux éxacerbé de certaines séries. Mettre sous scellé toute possibilité de ne pas apprécier un propos simplement parce que c’est n’est pas notre culture me paraît assez risqué, non ? Sans aller jusqu’à juger d’un pays ou de ses habitants sur la foi d’un aspect de leur culture ou d’un autre, il me semble tout de même possible d’avoir un avis sur la question, non ? Après, j’extrapole peut-être, ce n’est pas forcément ce que tu as dit…

    D’ailleurs, sur le même sujet, s’il est clair que la religion fait bien plus partie de la vie quotidienne des américains que de la nôtre, elle est loin d’être aussi omniprésente que dans « 7 à la maison », série qui reçoit des critiques similaires (même si moins majoritaires) aux Etats-Unis qu’en France au sujet de sa tranquille propagande moralo-chrétienne.

    P.S. : nous aussi nous avions des casiers au collège, mais pareil, c’était des cubes.

  6. ladyteruki dit :

    Une grande majorité des réactions négatives à ces séries sont quand même sur ce mode. Évidemment on a tous droit à un avis, et moi-même étant athée, je comprends qu’on ait le poil qui se hérisse quand on essaye de nous catéchiser de force ou de façon sournoise. Cela dit quand on a un avis, rien n’empêche de s’interroger sur sa provenance. En se questionnant honnêtement, on réalise dans une majorité de cas (mais pas tous et je le conçois) que, soit on a quelque chose contre la religion elle-même, soit on n’a pas su pendre du recul et réaliser que ça fait partie de la culture locale.

  7. freescully dit :

    Bel article, bravo lady
    Il est évident qu’il est très difficile de se procurer des oeuvres culturelles étrangères autres que les grands classiques et les oeuvres anglo-américaines. Et plus la culture sera considérée comme un produit de consommation, plus ce sera le cas, avec une segmentation volontaire des marchés…

    Et pourtant les oeuvres culturelles sont une magnifique fenêtre sur le monde. Personnellement, j’aime apprendre des langues étrangères et une fois les bases en place, la meilleure façon de progresser pour moi, ce sont les oeuvres culturelles, qu’il s’agisse de livres, de films ou d’oeuvres télévisuelles, et tout ça n’est pas évident à trouver malheureusement. Et encore j’habite à Paris mais comme l’a justement fait remarquer Scarlatiine, en Province, c’est quasiment mission impossible.

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