Imaginez du bleu à perte de vue. Au beau milieu de cet océan de bleu, un petit point vert. Et sur ce point, quelques points plus petits encore qui s’agitent.
Voilà un peu ce à quoi ressemble Hatomijima depuis le ciel. Hatomijima est le nom de l’île fictive où se déroule Ruri no Shima (littéralement : l’île d’azur ou l’île de Ruri), la série dont je vais vous parler aujourd’hui.
Hatomijima est absolument paradisiaque. Si vous ne connaissez rien d’Okinawa (la région sud de l’archipel nippon) et de son ambiance un peu sauvage, attendez-vous à tomber amoureux. De l’île, on ne distingue rien d’autre que l’océan à perte de vue. Et l’île elle-même n’est que rochers, sable et verdure. Dire que jusque là vous pensiez que Hawaii était une destination de rêve…!
Mais ce qui fait la beauté de Hatomi a aussi causé sa perte : isolée de tout, et notamment de l’administration, elle vit un dépeuplement que rien ne peut arrêter. Avoir préservé sa nature sauvage, et donc pas toujours adaptée aux ambitions de confort moderne, a découragé progressivement ses rares habitants. Dernier bastion de la civilisation, l’école apprend que le dernier enfant qui fréquentait sa classe unique est sur le point de quitter l’île. Il ne lui reste donc plus qu’à fermer. Voilà qui sonnerait la mort de l’île et de ses habitants, dont la moyenne d’âge tourne autour de 60 ans et dont le renouvellement n’est plus du tout assuré. Au mieux, il leur faudrait quitter l’île qu’elles ont protégée des décennies durant, et c’est de toutes façons hors de question.
Comme les derniers habitants de Hatomi ont le sens pratique, plutôt que de manifester, lancer une pétition ou rameuter les médias, ils entreprennent de prendre le problème à la source en essayant de repeupler l’école, un enfant à la fois. Ainsi, Yuzou Nakama retourne sur le « continent » afin de demander à sa fille de pouvoir prendre en garde son petit-fils, afin que celui-ci prenne ses cours sur Hatomi. Devant le refus de cette fille indigne, il est forcé d’opter pour le plan B, et essayer d’adopter un enfant. La chose n’est pas facile mais le hasard veut qu’il fasse la rencontre de Ruri, 11 ans, fleur de bitume, qui n’est pas orpheline mais dont il obtient la garde, au moins temporairement.
On imagine que le choc des cultures va être rude. Entre le centre et la périphérie du Japon, la ville et la campagne, l’indépendance urbaine à l’anonymat confortable et l’île au format familial un peu étouffant, Ruri menace à plusieurs reprises de prendre ses cliques et ses claques. Cette seule enfant porte les espoirs de toute une île (si minuscule soit-elle vue du ciel)… vous imaginez la pression ?
Ruri no Shima enchevêtre aussi bien la végétation que les thématiques. Avec son plaidoyer pour la préservation de la périphérie et ses particularités (une vraie question de société sur l’archipel), elle ne se contente pourtant pas de lever le poing pour éveiller les consciences. Elle donne surtout l’occasion de peindre des portraits de personnages que le temps (même en seulement 11 ans) a eu le temps de durcir, pour différentes raisons.
Si au départ, Ruri donne l’impression d’être juste une sale gamine insupportable immergée dans une micro-société vieillissante (et tout jeune corps plongé dans un environnement de vieux a tendance à faire des vagues… un ressort habituel pour de nombreux scénaristes), on prend le temps de faire sauter un à un les verrous de sa cuirasse, pour découvrir l’âme d’animal blessé qu’elle a dissimulée dessous. Un peu contre toute attente, au lieu de sauver l’île, c’est l’île qui va la sauver. En trouvant sur Hatomi, parmi les locaux mais aussi les quelques visages de passage, une oreille attentive, Ruri va polir le coeur qui lui sert de pierre et découvrir qu’une lazurite brillait dessous. Elle n’en aurait sans doute jamais découvert les scintillements bleus sans les couleurs de Hatomi pour les révéler…
Etrangement, dans cette nature indomptée par l’homme, et où la plupart des habitants vivent de façon assez simple, c’est finalement Ruri, la gamine de la ville, qui sera le petit enfant sauvage à apprivoiser. Elle mordille un peu (notamment son institutrice), mais elle finit par admettre que c’est pour son bien. Ce n’est pas toujours facile de voir qu’on a sa place dans un lieu totalement étranger, mais Ruri no Shima, c’est aussi l’histoire d’un greffon qui prend étonnamment bien, il suffisait de lui en laisser le temps. Quand on donne l’environnement dont il a besoin à quelqu’un, on ne se trompe jamais vraiment, même si le premier concerné n’en a pas forcément conscience…
Ce dont parle Ruri no Shima, c’est donc de vie. De l’étincelle de vie qui permet à une communauté, même minuscule, de ne pas s’éteindre. C’est l’attachement à une certaine vision de leur identité qui pousse les habitants de Hatomi à ne pas succomber au progrès, pour maintenir ce qui est tel que cela a toujours été.
Mais Ruri no Shima est aussi une histoire de mort. Plusieurs. La mort de l’enfance, dont Ruri pensait avoir fait le deuil. La mort d’une relation avec sa mère, qui la maintient à distance sans jamais l’avoir libérée. La mort tout cours, aussi, mais à vous de découvrir qui, comment, et surtout suivie de quel effet. Et puis, la mort d’un secret dont on ne savais même pas qu’il existait.
Seuls sur leur île coupée de tout, comme s’ils étaient les derniers êtres humains sur Terre (on pourrait s’estimer heureux si nos derniers représentants étaient de cette trempe au moment de la fin du monde), les habitants de Hatomi vivent d’amour, d’eau salée, et du pouvoir guérisseur qu’on les hautes herbes sur l’âme.
Je vous brosse un portrait idyllique de Ruri no Shima, et je m’en aperçois bien. C’est un tort car la série n’est pas exempte de défauts (côté interprétation par exemple). Certaines histoires secondaires se révèlent un peu parasites, parfois. Mais cette mise en garde n’est là que pour vous éviter d’attendre de la série un pur chef d’oeuvre. Elle ne relève pas du génie. Mais ça ne l’empêche pas d’être formidable.
En ce qui me concerne, j’ai aimé aussi bien la beauté que la rudesse parfois mal dégrossie de Ruri no Shima. Peut-être que c’est ça, l’esprit d’Okinawa…?