Ah, alors. La philosophie par la série. Je perçois le sujet « foutage de gueule » à l’approche.
Comme tout le monde, je pense (puisque ça fait le tour du web téléphagique depuis au moins ce matin), j’ai lu cet article sur Thibaut de Saint Maurice, qui parle de philosophie à travers les séries. Et non pas dans les séries, nuance. L’auteur, un prof de philo, semble découvrir que d’une part les séries télé sont populaires (le choc !) auprès des jeunes (attaque cardiaque !), mais qu’en plus, il s’y dit des trucs. C’est pas juste du temps de cerveau disponible, c’est… c’est presque pas bête, ce qu’il se dit.
Encore un qui a inventé l’eau chaude. Mais bon, à la rigueur, une révélation même tardive reste une révélation.
Je manque par contre de m’étrangler lorsque je lis quelques uns des exemples employés : 24, Desperate Housewives, Prison Break… et pourquoi pas NCIS aussi ? Si c’est pour faire le malin sur ces séries-là, autant ne rien dire du tout. Cela dit je conçois tout-à-fait que quand on parle du plus petit dénominateur commun, on attire l’attention. Et accessoirement c’est plus vendeur, aussi.
Le vrai téléphage, celui qui ne s’arrête pas aux titres les plus populaires, aura bien entendu flairé la supercherie d’instinct, relevant qu’on n’aura pas attendu « les séries télé, nouvelle forme artistique populaire » (dixit l’article de Slate… sic) pour trouver de la philosophie dans les séries, encore fallait-il y regarder d’un peu plus près.
Le premier titre qui me vient à l’esprit est Oz, pour des raisons assez évidentes je pense. Voilà bien une série qui est pour ainsi dire un vivant traité de philosophie, bien plus profond et intéressant à étudier à mon sens. On y trouve pèle-mêle et entre autres : des questionnements sur la vie, le temps, la nature humaine, etc… D’ailleurs dans la foulée, Oz est aussi une thèse sociologique et un manifeste politique (faut pas gâcher). Et cela en parvenant à être une série très accessible sans jamais se compromettre dans la facilité, en plus. Faites regarder du Oz à vos élèves, Monsieur de Saint Maurice, tout le monde y gagnera, la philosophie comme la téléphagie (pourquoi serait-ce unilatéral ?).
Evidemment, le concept derrière ce bouquin, c’est d’essayer de capter l’attention des jeunes en faisant des parallèles avec des concepts philosophiques, et c’est relativement louable dans l’ensemble, sauf que ça ne tire personne vers le haut !
Qui plus est, on peut trouver de la philosophie n’importe où, j’ai envie de dire, et à plus forte raison si l’on est professeur de philosophie. Avec un peu de réflexion, je suis sûre qu’on peut même trouver une pensée profonde derrière, mettons, Son of the Beach. Si, en y passant quelques heures et en n’ayant rien d’autre à faire, ça doit être possible… C’est toujours facile de poser le regard sur quelque chose pour ensuite l’étiqueter selon un courant de pensée défini. Sauf que ces propos sont bien souvent involontaires, ce qui invalide d’autant la démarche philosophique qui consiste à se questionner sur de l’abstrait et non simplement à résoudre des enquêtes selon un cahier des charges dûment respecté (j’ai NCIS en sourdine à côté de moi en attendant Canterbury’s Law, et croyez-moi, bien malin celui qui attribuera aux scénaristes un quelconque degré de réflexion).
J’associe un peu cette démarche aux psys qui, mis face à n’importe quel être humain, trouveront toujours des névroses insoupçonnées ou des pathologies retorses à attribuer à leur congénère (ça doit être une chose intéressante à analyser, d’ailleurs). En gros, quand on cherche un sens à quelque chose, je suppose qu’on en trouve.
Mais à première vue, l’auteur de Philosophie en séries (sic !) s’est surtout contenté de surfer sur la vague de la facilité, ce qui me semble être un comble pour un philosophe. Je ne peux pas vraiment l’en blâmer tout-à-fait : il a simplement fait preuve de pragmatisme vis-à-vis de ses élèves peu inspirés par sa matière, et en plus, sortir un livre lui permet de traire la vache à lait. Une vache à lait rhétorique, ça va de soi.
Cela étant, si ce cher monsieur veut m’expliquer un peu mieux sa démarche, je lui ouvrirai volontiers mes colonnes pour un droit de réponse. Le dialogue contradictoire était au centre de la démarche de Socrate, d’ailleurs.
Bonjour,
J’avoue que je suis un peu embêté pour te répondre parce que tu as fait ton post surtout après avoir lu un article (slate.fr ?) et sans avoir lu le livre et même sans avoir regardé l’ensemble de sa table des matières ou sa note d’intention. Du coup, il y a pas mal de reproches que tu fais qui sont plus des procès d’intention que des objections sur le fond du livre.
Je trouve donc cela tout de même assez gonflé que de crier au « foutage de gueule » à propos du livre, alors que tu le juges sans avoir pris le temps d’y jeter ne serait-ce qu’un coup d’œil !
Mais bon, comme tu m’y invites, voici quelques éléments pour éclairer ma démarche et lancer le débat.
Je laisse de côté toute l’ironie et toute l’amertume de ton post et je me concentre sur deux points qui me semblent vraiment relever du débat.
Pourquoi avoir choisi ces séries ?
J’ai choisi de travailler sur 13 séries (et non pas sur 3 ou 4 comme tu le laisses penser) parmi lesquelles il y a certes les plus populaires du moment (Dr House, Les Experts, 24, Lost…) mais aussi des séries qui sont maintenant achevées et qui sont moins populaires – en tous cas auprès des lycéens (The Soprano, Six Feet Under, Rome). L’idée était de croiser deux critères de choix : la popularité et la qualité. C’est pour cela qu’une série comme Sex and the city (pourtant très populaire) n’a pas été retenue ( manque de qualité) et d’un autre côté c’est aussi pour cela qu’une série comme The West Wing (pourtant de qualité ultra-supérieure) n’a pas été retenue (manque de popularité). Tu me diras, la qualité est un critère subjectif…Oui peut-être pour une part, mais pour une autre part quand je parle d’une série de qualité, cela signifie que c’est une série que la majorité des critiques des séries reconnaît comme étant de qualité. Mais surtout cela signifie que c’est une série dont la complexité de l’intrigue et des personnages donne matière à réflexion. Ce qui nous conduit au 2ème point.
Y a-t-il des vrais morceaux de philosophie dans les séries ou n’est-ce qu’une interprétation de prof ?
La thèse du bouquin, mais tu as le droit de ne pas être d’accord, c’est de dire que certaines séries (notamment celles qui ont été retenues, mais ce n’est pas exclusif) racontent des histoires ou mettent en scène des personnages qui reprennent les grands problèmes existentiels. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’elles ont tant de succès aujourd’hui : elles ne font pas que distraire : elles font aussi réfléchir, elles interpellent, elles remettent en cause, elles font prendre du recul, elles cassent des préjugés….autant de mots pour dire qu’elles invitent le spectateur à prendre du recul par rapport à la réalité. Or n’est-ce pas précisément la fonction de la philosophie que de nous proposer de prendre un peu de recul et d’essayer de comprendre ce que nous vivons ?
C’est donc comme cela que fonctionne le livre : il ne prétend pas coller une étiquette philosophique définitive sur chaque série, mais juste mettre en rapport et faire discuter l’univers d’une série et plusieurs doctrines philosophiques. C’est pour cela que si par hasard, un jour, tu tombes sur le livre, tu verras que dans chaque chapitre il y a plusieurs extraits de textes philosophiques qui sont expliqués grâce à l’univers de la série. Ce n’est donc pas la philosophie qui vient se plaquer sur la série, mais au contraire la série qui permet de mieux comprendre les textes.
Tu dis enfin qu’il n’est pas étonnant que lorsqu’on cherche du sens à quelque chose on finisse par le trouver. En quoi est-ce gênant ? N’est-ce pas au contraire la condition de notre passion pour ces œuvres ? Oui, je crois que ces fictions ont du sens, qu’elles n’ont rien d’absurdes et qu’il n’y a pas de mal à réfléchir sur leurs multiples significations…à moins que tu préfères qu’on n’y réfléchisse pas trop et qu’on les réduise qu’à n’être que de vagues produits de consommation…
Voilà, je pourrais continuer longtemps mais je sais bien que l’attention est une denrée précieuse !
Encore une fois tu as le droit de ne pas être d’accord avec l’intention du livre et avec la manière dont il la réalise, mais tu dois au moins avoir l’honnêteté d’en rendre compte objectivement avant de les juger. C’est ce que les philosophes appellent le principe de charité : faire le plus grand effort pour comprendre la pensée de l’autre, lui accorder le maximum de crédit et de pertinence, pour pouvoir ensuite la réfuter, si suite à cet effort, on n’arrive toujours pas à être d’accord avec.
Allez pour finir malgré tout sur un point d’accord : je partage complètement ton analyse sur Oz et même si je n’ai pas consacré de chapitre à cette série (pour des raisons un peu longues à expliquer ici), je la cite plusieurs fois dans le livre. On est d’accord cette série est absolument géniale et c’est sans doute une des plus authentiquement philosophiques – avec SFU peut être ?
Excusez-moi, je viens en invité dans la conversation donc on va dire que je suis une guest-star ^^
Votre citation, monsieur :
« Tu me diras, la qualité est un critère subjectif…Oui peut-être pour une part, mais pour une autre part quand je parle d’une série de qualité, cela signifie que c’est une série que la majorité des critiques des séries reconnaît comme étant de qualité. Mais surtout cela signifie que c’est une série dont la complexité de l’intrigue et des personnages donne matière à réflexion. »
Ma réponse :
Euh « Les experts » n’a aucune complexité de l’intrigue ni des personnages ou alors vous regardez pas les mêmes Experts que nous.
Enfin c’est vous l’Expert, moi je ne suis que guest-star…
Bonjour David,
Vous avez entièrement raison sur les Experts. C’est la seule série que j’ai choisi de traiter dans le livre pour essayer d’en montrer toutes les contradictions. En fait cela m’agaçait de voir que cétait une série si regardée et sur laquelle il y avait si peu de critique de fond.
Pour le dire vite, le scandale d’une série comme les experts c’est qu’elle déforme la rigueur de la méthode scientifique pour la mettre au service d’une idéologie sécuritaire du genre: « dormez tranquille bonnes gens, même s’il y a des crimes au coeur de la nuit, il y a des « experts » prêts à lutter contre… »….Encore fallait-il démonter cette mécanique sur le fond, en revenant aux principes mêmes de ce qu’est un raisonnement scientifique…
MErci d’avoir relevé cette exception! Ca permet encore de clarifier le débat!
Waouh, quelle violence dans l’ironie sur ce post consacré à ce livre. Et quelle dignité, en revanche, dans la réponse de l’auteur!
Effectivement, parler d’un livre sans l’avoir réellement lu, c’est quand même un peu faire le malin et se faire plaisir à bon compte pour se faire mousser auprès d’un lectorat avide de bonnes phrases. Mais quand on fait l’effort de lire ce livre formidable, on voit à quel point il est pertinent tout étant fort humble, et on voit aussi le fossé qui sépare la fiction française de la fiction anglo-saxonne. Les scénaristes US savent apparemment écrire en cherchant leur inspiration dans les tréfonds de l’âme humaine et des grands thèmes, alors que les auteurs français, certes bâillonnés par les diffuseurs, en sont encore à faire des variations sur le monde des bisounours…
Mais apparemment, en France, il n’y a pas que des scénaristes limités, il y a aussi des chroniqueurs un peu… limite… .