Ce midi, pour une fois, j’étais devant ma télé. C’est cool d’être en vacances, me disais-je. Et puis je suis tombée sur ce sujet de L’Edition Spéciale de Canal+, un petit sujet de quelques minutes, trois fois rien, avec une chroniqueuse qui lit sa fiche et deux interviews de trois phrases (en tout, pas chacune) sur un sujet… « de plus en plus d’enfants de 10 ans ou moins regardent des séries télé pour adultes ».
Ah, ce bon vieux troll, ça faisait longtemps !
Et la journaliste de commencer par des chiffres de Médiamétrie (et comme ici, on est pas des trolls, on va pas entrer dans le débat de la pertinence des chiffres Médiamétrie… c’est juste que, filez-moi un appareil à audimat, et vous allez voir comme je vais vous les torcher moi, les audiences) :
– pour une quelconque soirée NCIS, on avait enregistré sur 3 millions de spectateurs que 100 000 étaient des enfants de moins de 10 ans (il s’agissait apparemment d’un braquage du service de médecine légale qui poussait le vieux pépé à déballer les intestins d’un mort pour en sortir de la cocaïne)
– pour une autre quelconque soirée Les Experts, sur 8,5 millions de spectateurs, 314 000 étaient des enfants de moins de 10 ans et, au 2e épisode, ils étaient 266 000 à aller jusqu’au bout de la soirée, sachant que ça finit à 22h20 et qu’en plus ya de rediffs le dimanche après-midi.
Moi je fais que citer, hein. D’ailleurs elle aussi, jusque là. Certes, on passait deux photos des scènes de NCIS en question (je sais pas si c’est représentatif, j’ai pas regardé l’épisode, mais il y avait d’une part un mec qui brandissait un flingue, et de l’autre un truc vaguement rouge et gluant pour montrer les entrailles), mais ça se cantonnait à ça, et je me suis dit que, jusque là, bon, on restait intellectuellement honnêtes, dans l’ensemble. J’ai même entendu la phrase « à 22h20 les enfants devraient être couchés », ce qui avait quelque chose de sensé.
C’est alors que le mot a été lâché. « Accro ». Les enfants sont « accros » à ces séries. Alors là, j’ai su qu’on n’allait pas être copines, la journaliste et moi. Parce qu’être accro, pardon, mais je sais ce que c’est. C’est d’ailleurs ce qui occupe largement les 3/4 de ces colonnes : parler de mon addiction et ses manifestations. Ça a toujours été mon crédo, si vous vous souvenez de mon premier post. Alors être accro aux séries américaines, on ne me fera pas la leçon dessus.
Et donc là je m’insurge, ou du moins je commence à m’échauffer. Si on veut partir du principe qu’on fait du journalisme, déjà, il y a un problème de méthode : le fait qu’un mouflet de moins de 10 ans regarde un épisode, ou deux, jusqu’à la fin, ce n’est pas de l’addiction. Rien dans les chiffres donnés ne permettait d’employer ce terme, donc. Une partie importante, certes, de la population des moins de 10 ans, certes, regarde ces séries qui ne leur sont pas adressées, certes. Jusque là on est d’accord. Mais parler d’addiction ? Ça me fait mal au derrière, ou alors faut étayer un peu.
Arrive l’argument d’autorité, le psy. Ah, les psys. Je les aime de tout mon coeur (ne vous ai-je pas fait l’apologie de Huff à plusieurs reprises ?), hein, mais les psys dans les sujets de ce type, on les connait. Première chose : les propos rapportés : apparemment, les conséquences sur les enfants sont que, d’une part, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir entrer dans la police scientifique (ce qui comme chacun sait est absolument terrifiant, un enfant qui veut entrer dans la police, c’est complètement à contre-courant de notre bonne culture française, ça !!!) (PS : quand je vois Grissom j’ai plutôt envie que ce soit la police qui entre… j’ai dit ça à voix haute ?!), et plus inquiétant encore, les enfants sont de plus en plus « angoissés » et ont « peur d’être assassinés ou enlevés ». Sans compter qu’en plus ils deviennent violents (oh le beau troll, c’est quoi ça, le point Godwin de la télévision non ?).
Voilà ensuite un pédopsychiatre qui se pique de redire la même chose en une phrase, histoire d’apporter du crédit à cette connerie, si, j’ai dit un gros mot, et j’assume. D’un autre côté je serais étonnée qu’un enfant de 10 ans soit arrivé aussi loin dans ce texte, si jamais l’un d’entre eux, hautement imprudent, se risquait sur ce blog quasiment sans image.
A ce stade mes cheveux se sont dressés sur mon crâne un à un, et je suis prise d’une violente crise d’urticaire. Oui parce que, vous savez, quand ils regardent le journal avec les parents, ils n’entendent pas du tout parler de Marc Dutroux (la mode est un peu passée, il est vrai) ou de la disparition de Maddie ; ils ne voient jamais les alarmes Alerte Enlèvement avec leur sirènes pas du tout effrayantes, et les parents, c’est bien connu, eux non plus ne réagissent pas à tout ça, et ne les incitent pas à plus de prudence.
C’est forcément la faute des séries et uniquement elles.
Au moment où je commençais à me rendre sur des sites de vente en ligne pour acheter un fusil à pompe à l’étranger et en occas’ (et pourtant je ne regarde ni NCIS ni Les Experts Khartoum, allez comprendre), une parole plus sage s’est faite entendre : c’est parce que ces séries sont binaires. Il y a le gentil, le méchant, et à la fin on sait bien qui c’est qui gagne.
Et là je tiens à remercier la journaliste pour avoir dit exactement ce que j’en pense, c’est juste qu’il aurait fallu aller jusqu’au bout du raisonnement : ces séries-là sont de la fumisterie ! C’est du divertissement de bas étage, c’est bien gaulé, à la rigueur (je parle des Experts, évidemment ; on ne me fera jamais admettre une chose pareille quant à NCIS, même sous la menace d’une arme). Eh oui, ces séries-là, c’est de la merde ! Bon non, pas de la merde, mais elles sont cons. Ya des séries pour adultes qu’un enfant de moins de 10 ans peut regarder, et limite c’est peut-être même une chose qu’il faut encourager, mais celles-là, devinez quoi : elles ne passent pas en prime time !
En fait il y avait erreur dans la formulation du sujet, puisque ces séries ne sont pas pour adultes mais pour ados et très jeunes adultes, et ça fait une grosse différence ! Toutes ces séries popcorn ne sont PAS des séries pour adultes (ou seulement s’ils ont encore l’âge mental d’un ado de 17 ans).
Je passe sur un autre détail qui m’a chauffé les oreilles, quand les propositions de solution incluaient, tenez-vous bien, qu’on fassez des séries pour adultes qui n’intéressent pas les enfants, et les découragent des séries pour adultes. On leur dit qu’elles existent mais que la plupart des chaînes décident de ne pas les diffuser ? On leur dit que c’est pas ça qui les découragera vu que des enfants regardent aussi Nip/Tuck ?
Par contre je vais m’arrêter sur une autre intervention, celle du journaliste du Monde, Hervé Kempf, qui a une proposition très intelligente : que l’écoloe propose des stages sans télé ! Qu’on explique aux gens que quand on éteint la télé, on peut « discuter, jouer, et même ne rien faire », et que c’est bien. Bon, évidemment c’est bien aussi d’éteindre la télé (sinon quand est-ce qu’on va sur internet ?), mais ce n’est évidemment pas la solution !
Mais faut être le roi des cons, quand même, là… On vit dans un monde de médias. Il ne faut pas en priver les enfants en espérant qu’ils s’en détourneront ou, plus irréaliste encore, que comme par magie, ils vont prendre du recul par rapport à elle. C’est même tout le contraire : il faut les éduquer aux milliers d’informations médiatiques que les enfants reçoivent (et reçoivent de plus en plus, qui plus est), leur donner les outils pour apprendre à gérer leur consommation médiatique.
J’ai toujours dit que la télé, c’était le royaume du libre arbitre. Avec une télécommande en main, on a le moyen d’expliciter ses décisions : si telle chose ne me plaît pas, je zappe, si telle chose ne me correspond pas, je zappe, si telle chose ne répond pas à mon besoin, je zappe. La télécommande, c’est une forme de pouvoir. Rien ne vous oblige à vous abrutir devant un programme débile, parce que vous avez une télécommande (et un bouton ON/OFF, aussi). Ceux qui usent de ce type d’argument font des proies faciles à la connerie télévisuelle, ils subissent. Une télécommande, c’est tout le contraire.
Donc quand on a une télécommande, on apprend à s’en servir. On a des parents pour ça, d’ailleurs. Et des éducateurs si on leur donnait les moyens de prendre le temps de décortiquer les médias avec leurs élèves (mais ils manquent déjà de moyens pour tout le reste, alors bon). Ce n’est pas en privant un gamin de télé pendant 10 jours qu’on lui apprend à avoir de meilleures exigences télévisuelle (et si ya bien un truc que je sais d’expérience, c’est que priver un gosse de télé ne fait que l’en rapprocher), c’est en lui expliquant qu’il a ce pouvoir suprême. Le problème commence par le fait que beaucoup d’adultes ne se servent même pas eux-mêmes de ce pouvoir.
Là, évidemment, obligée, je brandis mon expérience personnelle comme un étendard et je m’insurge : la première série que je me souvienne avoir regardée, c’était L’Enfer du Devoir. A la rigueur, ex aequo avec V, La Belle et la Bête et MacGyver, si on veut chipoter. Pas des séries absolument réjouissantes sur le papier. En suivant les tags sous ce post, vous vous apercevrez par exemple que dés le pilote de La Belle et la Bête, l’héroïne se fait défigurer. Et les plus anciens d’entre vous se souviendront des polémiques autour de MacGyver, qui était super dangereux et subversif parce que les jeunes essayaient de l’imiter et de créer des bombes artisanales, et que tout le monde était ultra-choqué. Quant aux deux autres, rappelons que c’étaient chacune à leur façon des séries de guerre.
Je regardais tout ça, et il ne m’en est resté aucune séquelle. Euh, bref. Non, je veux simplement dire que je ne suis pas plus endommagée par ces séries-là que je ne l’ai été par mon expérience de la vie. Pas de traumatisme, en tous cas. Et j’avais entre 10 et 12 ans, confirmation apportée par ma matriarche à l’instant par téléphone, oui je vérifie mes sources, moa. Est-ce que je suis hantée par l’idée de
sauter dans une explosion, terrifiée à l’idée de me faire charcuter dans une rue sombre, ou encore angoissée par la perspective de tirer sur le fil d’une mine planquée dans la végétation ? Non.
Et pourquoi ? C’est là que c’est intéressant, c’est là tout l’objet de mon post : parce que ma mère était là. Elle regardait avec moi, et elle m’expliquait. Elle analysait avec moi le contexte historique de L’Enfer du Devoir, elle me donnait les références qui me manquaient pour comprendre les parallèles avec la résistance devant V, elle m’apprenait aussi, et c’est au moins aussi important, la différence entre fiction et réalité, pourquoi avec un chewing gum, du liquide vaisselle et un trombone, je n’aurais pas pu faire de bombe, et que de toutes façons ça ne servait à rien d’essayer. J’ai peut-être pas eu l’éducation dont je rêvais sur d’autres aspects de ma vie, mais télévisuellement, ma mère, elle a assuré. Elle ne m’a pas dit que ce n’était pas de mon âge (ça aurait pourtant suffit vu qu’il n’y avait qu’une seule télé à la maison et qu’elle était dûment gardée), elle m’a ouverte sur le monde et sur le monde télévisuel, m’a appris à faire relativement la part des choses, m’a donné du recul. Tous ces gens qui se gargarisent de « les chaînes pour enfants/bébés, c’est odieux, on laisse la télé servir de nourrice », ils me cassent les pieds, voilà. Déjà parce qu’il faudrait se décider : soit les
programmes pour les enfants c’est pas bien, soit les programmes pour adultes qu’on laisse les enfants regarder c’est pas bien. A un moment il faut choisir. Et surtout, ce n’est pas parce qu’on met les enfants devant la télé qu’il faut les y laisser seuls. Il faut les accompagner.
Je revendique que la télévision m’a éduquée sur de nombreux aspects, m’a ouverte au monde (tout ironique que ça puisse paraître), m’a permis de sortir de chez moi plus qu’on ne pouvait l’imaginer, m’a permis de voir à quoi ressemblait la vie ailleurs, et ce par le biais plus accessible de la fiction notamment. Je revendique avoir moi aussi grandi dans une boîte en carton découpée de façon à regarder la télé quand mon père n’était pas là. Je revendique mon addiction aux séries. Rien de tout cela n’est antithétique et rien de tout cela n’est honteux. A condition qu’on ait la bonne éducation pour ça.
Mon conseil : quand vous regardez L’Emission Spéciale de Canal+ avec vos enfants, expliquez-leur ça.
Et ensuite mettez-leur un bon DVD de Pushing Daisies, comme ça tout le monde tombe d’accord.
PS : je vois que SeriesLive en a également fait un article, tiens.
Ah bah zut, moi qui croyais que j’étais moins con qu’un gamin de 10 ans, tu me fais de la peine…
J’adore NCIS !
Mais ton sujet, reflète très bien ma pensée, les gamins au lit, et les parents des baffes…
Ah, le sempiternel débat sur « ouh, la télé (quand c’est pas elle ce sont les jeux vidéos), c’est mal. » En ce qui concerne la connerie du reportage en question (que je n’ai pas vu mais on en a tous vu un du même genre), c’est la différence en un chercheur en sociologie et un journaliste. Le premier fait des recherches sérieuses et des analyses poussées et finit par pondre un truc souvent indigeste mais assez proche d’une représentation juste de ce qui se passe (mais ça n’intéresse malheureusement pas grand monde), le deuxième se prend pour le garant de la morale sociale tout en cherchant à faire de l’audimat avec des sujets racoleurs. Et en gros, dire aux parents « ben, z’avez qu’à éduquer vos mômes au lieu de laisser l’école/la télé s’en charger », ça ne plaît pas vraiment au public. Alors on l’assène de sujets qui le rassure « mais non, mais non, vous êtes de super parents, mais attention le danger rôde, la télé, les jeux vidéo, les Américains (ben oui on est en France, donc les Américains, c’est comme la police, c’est nul)… »
Et puis, encourager les gens à avoir un libre arbitre? Mais ça va pas ou quoi, si on avait tous le pouvoir de zapper, les chaînes auraient du soucis à se faire, ce n’est pas vraiment dans leur intéret d’encourager notre libre arbitre…
Excellent article même si ça se saurait si ce genre d’émissions à la con véhiculait autre chose qu’une série de clichés simplistes,de phrases préfabriquées venant de pseudo-spécualistes, et de reprises du moindre article idiot, et ce pour absolument tous les sujets abordés.
Plus ou moins dans cette thématique, de la télévision comme mére nouriciére, j’ai revu récemment le film « The Cable Guy » qui est absolument excellent
Une question lady, parce que ça me rend absolument malade depuis que j’ai lu ce billet: commment s’appelle la série dans laquelle le héros avait été confiné dans une boite en carton lorsqu’ il était enfant? Je l’ai sur le bout de la langue et ça me tue.
C’était Profit. J’ai proposé le générique il y a quelques jours d’ailleurs. ^_^
Le passage sur les séquelles et les séries « dangereuses » me renvoie plutôt à ma partie « fan d’animation japonaise » avec une problématique similaire et en même temps différente parce qu’on a le côté dessin qui fait que c’est plus facile de faire la différence avec la réalité. Mais l’époque est à peu près la même et la vague de contestation sûrement plus grande (avec toutes ces « japoniaiseries ») et pourtant… Même sans avoir été forcément éduqué par mes parents, je n’ai pas fini en psychopathe tueur amateur d’Hokuto de cuisines pour faire exploser la tête de mes camarades (ok, j’aimais pas Ken le Survivant, mais je regardais quand même…)
Enfin finalement, on évolue toujours à peu près dans les mêmes craintes et tutti quanti, à peine le support change-t-il finalement (le truc des jeux vidéos est aussi exact).
Et puis c’est sûr qu’en trois minutes c’est pas évident de faire quelque chose qui ne soit pas très limité dans la vision des choses (déjà que même dans des émissions un peu plus longues, avec du monde pour débattre c’est pas toujours gagné…)
@ freescully : sympa la grosse généralisation sur le journaliste qui, de toute façon, « n’y comprends rien » et est là pour vendre son produit…
Bah dans les médias mainstream, dans des émissions à vocation généraliste (où par essence on ne fait qu’effleurer chacun des sujets abordés), c’est quand même souvent ça, il faut bien admettre. Surtout sur des sujets comme celui-ci : dés qu’il y a un peu de polémique facile à entretenir, rares sont les journalistes qui y mettent beaucoup de bonne volonté. On ne leur laisse sans doute pas le temps ou même la latitude de le faire, cela dit, mais le résultat est quand même rarement probant dans des sujets « de niche ».
@ Eske : loin de moi l’idée de faire des généralités sur tous les journalistes, je parlais juste du cas présent. Désolée si je t’ai donné l’impression de tirer à boulets rouges sur la profession en générale, ce n’était pas le cas.