L’avenir. Ça fait un bout de temps que je n’y ai pas sérieusement songé. D’une certaine façon je me suis toujours préoccupée de mon avenir, parce qu’il m’inquiétait (vais-je avoir un travail ? vais-je pouvoir me libérer de ce qui m’étouffe ?), mais je ne m’y projetais pas vraiment. Au mieux, je réfléchissais avec quelques mois d’échéance : dans quelques mois je commence mon nouveau boulot, dans quelques mois je commence à faire des économies, dans quelques mois j’entame une thérapie, dans quelques mois je me fais titulariser, dans quelques mois je déménage.
C’est comme si mes projets souffraient encore de l’époque où je n’avais pas du tout d’avenir, ou disons, une époque où il était totalement bouché par le manque d’argent et de travail.
Depuis quelques temps tout le monde me parle d’avenir. Et effectivement, maintenant, il ne me reste plus que ça à me préoccuper. Le présent est d’une certaine façon verrouillée : j’ai un travail. Je retournerai bientôt au boulot (enfin, dés que ma semaine de congés sera finie), et le lendemain même chose, et ainsi de suite. C’est vrai que je n’ai plus exactement à m’inquiéter pour ça. Une part de moi conserve quelques appréhensions à ce sujet, c’est exact aussi que tant de choses se sont déjà passées depuis le début de l’année que je n’ai aucun moyen de me rassurer totalement ; il restera encore longtemps l’appréhension d’avoir tout gâché et de me retrouver à la porte, donc à la rue, encore une fois. Mais il faut être aussi objectif : j’aime mon travail, j’aime les gens que j’y rencontre (presque tous évidemment), j’aime écouter de la musique et rédiger mes articles dans le train en y allant ainsi qu’au retour, je suis, d’une certaine façon, à l’abri, en sécurité, maintenant il faut penser à la suite.
Et, séquelle d’années à m’inquiéter déjà de ce que je pourrais bien faire d’ici quelques jours, je crois que je ne suis plus capable de regarder aussi loin que, disons, l’année prochaine, pour commencer.
Pourtant il me souvient d’une époque où je me projetais sans problème dix ans plus tard. Il est vrai aussi que cette époque était si pourrie que j’avais envie de croire que, d’une part, je pourrais vivre dix ans de plus, et que d’autre part, une compensation m’attendait au bout d’une décennie pour tout ça. Mais au moins j’arrivais à faire des projets et des plans sur la comète, c’était irréaliste parfois, ou en tous cas ça demandait une intervention divine pour y parvenir, mais enfin, j’arrivais à m’imaginer dans le futur, et ça, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Comble de l’ironie, de toute ma vie, je n’ai jamais été aussi proche d’avoir un futur, justement…
C’est sans doute aussi pour cela qu’il m’est difficile d’accepter que ma mère ait préparé depuis 15 années son divorce, dans le fond. Elle s’est tellement projetée dans son avenir, et moi pas du tout dans le mien, et peut-être que dans le fond, je lui en veux de ne m’avoir jamais appris à le faire… et de ne pas m’avoir prise en compte dans son propre avenir. A quoi a-t-elle servi toutes ces années ? Elle était entièrement vouée à sa cause et si peu à la mienne, et voilà qu’elle commence à envisager des dates pour ce divorce, et que son avenir est vraiment là, et moi je n’en ai pas, j’en suis encore à peine à essayer de me bâtir un présent qui tienne la route, tout ça parce qu’elle ne m’a jamais aidée à construire quoi que ce soit. C’était pourtant bien à elle de m’apprendre, à l’époque, et à elle de protéger mon avenir. Elle l’a laissé me briser et aujourd’hui je rame pour essayer de me trouver des objectifs à long terme. J’ai encore trop l’oeil dans le rétroviseur pour être capable de voir si loin en avant.
« La question n’est plus vraiment ce que vous pourriez ou devriez faire, mais ce que vous voulez faire ». J’entends très souvent des variations autour de cette phrase ces derniers temps.
Ce que je veux faire ? D’instinct, je le sais : je veux écrire.
Ce qui ne veut rien dire puisque d’une façon, je le fais déjà, et quasiment à chaque minute qui passe dans mes bronches.
Ce que je veux ? Je veux ne plus avoir peur, surtout. Être en sécurité, enfin, et profiter. Juste profiter. C’est ça, en fait, la seule chose qui m’attire. Je veux profiter que j’ai un travail et rester à papoter avec ma collègue tard le soir. Je veux profiter que j’ai de l’argent et m’acheter des choses qui me font plaisir. Je veux profiter des offres du ministère pour mettre mes affaires dans des cartons et emménager dans un appartement qui me plaise. Je veux profiter qu’il y a un resto chinois sur le chemin du retour et m’acheter des rouleaux de printemps. Je veux dévorer toutes les séries qui se présentent, écouter des musiques pour rythmer mes pas, lire des choses drôles, intéressantes ou terribles, je veux…
Bordel, je veux vivre. C’est tout. Je ne veux pas plus. Je veux profiter, voilà tout !
Pour le reste, il sera toujours temps de voir lorsque j’aurai fait le tour du sujet. Cela dit je vais mettre du temps à épuiser toute la sérénité que cela signifie. Mais j’ai manqué de 27 ans de sérénité, alors croyez-moi, une fois trouvée, je n’en demanderai guère plus. Ou bien si, évidemment, mais à ce moment-là tout le monde me regardera en me disant « mais lady, enfin, tu ne t’y mets que maintenant ? Il fallait y penser avant ! ». Mais c’est ça que je veux, ne pas chercher à me ruer dans le sens où on me poussait de toutes parts. Juste un ou deux ans, peut-être trois je sais pas, être enfin moi dans le présent. Je ne veux rien d’autre.
J’ai pas besoin de me bâtir un plan de carrière ou de m’imaginer des objectifs de vie pour être heureuse. J’ai juste besoin que la vie m’oublie un peu et me laisse tranquillement faire mes petites affaires dans mon coin, avec ma musique, mon écriture, mes séries, mes quelques contacts, mon travail et ma paie chaque mois.
Mais quelque chose me dit que je n’appartiens pas, plus, ou n’ai jamais appartenu, à la catégorie de ceux qui savaient vivre de cette façon.
Le futur m’appelle, il va falloir que j’y retourne, que je commence à penser à lui, en évitant de me rappeler toutes les fois où lui n’a pas pensé à moi, et il va falloir que je prenne des décisions.
C’était bien d’avoir une vie de merde. Je savais toujours quoi faire. Les seules décisions qui étaient à prendre étaient celles qui s’imposaient (trouver un travail, un toit…). Maintenant, pire que tout, l’horizon se dégage et… j’ai le choix.
Ça sera peut-être mon dernier commentaire, car j’ai vraiment pas envie de t’embêter et comme j’ai vu que tu n’avais pas publié les derniers, ça en dit davantage que de longs discours.
J’ai compris que tu n’avais ni envie ni besoin de ne serait-ce que d’échanger quelques mots avec moi. Je respecte ça totalement, aucun souci.
Simplement, sache que si un jour tu veux m’écrire, je suis là ; désormais tu sais que je vis et je sais que tu vis.
La porte de mon esprit et de mon être est totalement ouverte à toi et le restera toujours, n’hésite pas à entrer si un jour tu en as l’envie.
Je t’envoie un sourire.