Time Has Come!!

2 mai 2009 à 14:30

Si je devais faire un classement des choses les plus glauques qui se sont dites dans ma famille, je crois que malgré tout ce que mon père et moi nous sommes lancés à la figure l’un de l’autre, la palme reviendrait à ma mère.

Ma mère, c’est la femme qui planifie son divorce depuis 15 ans. Et tout le monde le sait. Sauf mon père.
Depuis 15 ans, elle avance à petits pas quasi-invisibles sur la route du divorce ; un peu comme quand je vivais encore chez eux et que le soir je me relevais pour lire, et que pour atteindre ma biblio ou mon bureau sans réveiller mes parents dont la chambre était juste en-dessous de la mienne, je ne faisais qu’un pas par minute, en me chronométrant, comme ça les craquements du planchers passeraient pour le bois qui travaille naturellement et pas comme le bruit de quelqu’un qui se déplace alors qu’il devrait être au lit depuis une bonne heure. Ma mère prépare son divorce comme ça, et de temps en temps, elle m’en parle, et c’est là qu’elle décroche la palme du glauquissime, ce qui dans ma famille relève, je trouve, d’un sacré exploit. Mais les lecteurs réguliers de ce blog, jouissant d’un regard extérieur, sauront le dire mieux que moi.

Après avoir ouvert un compte à son nom (mon père pense que mari et femme devraient n’avoir qu’un compte-joint et que toute procédure divergente de cette position est forcément blasphématoire vis-à-vis du mariage, donc lui, il faut savoir qu’il n’a rien du tout de son côté…), où elle dépose régulièrement de l’argent, et je n’ose imaginer comment elle parvient à détourner de l’argent du fonds commun sans que mon père ne s’en rende compte (probablement en mentant sa fiche de paie à elle, j’imagine)… après avoir fait déménager mon père dans la chambre d’amis (en mêm temps c’est vrai qu’ils n’ont pas d’ami…) pour pouvoir faire lit à part depuis des années… après s’être arrangée pour planifier leurs prêts bancaires de façon à n’avoir plus aucun remboursement à faire à partir de 2010… après avoir déjà pensé à la façon dont elle revendra les biens immobiliers de la famille (soit la maison, le studio de ma soeur et le mien) de façon à ne pas avoir à se partager les locaux au moment du divorce (ou, plan B, elle s’installe dans le studio de ma soeur pendant la procédure de divorce)… après avoir finement réfléchi (et infléchi) le plan de carrière de mon père de façon à ce que celui-ci soit occupé au moment du divorce (elle aimerait que quand il prendra sa retraite l’an prochain, il accepte un autre job qu’on lui a proposé et qui est bien plus chronophage)… maintenant elle commence à penser dates.

Donc ce matin, pendant que nous faisions des courses ensemble, elle me dit gentillement que ma soeur lui a demandé « d’attendre après Noël », rapport au fait que ma soeur devrait être fixée sur son avenir professionnel à ce moment-là.

Parce que, si ça fait 15 ans qu’elle attend, ma mère, c’est uniquement pour des questions financières, pour que mon père participe au financement des études de ma soeur, au remboursement des prêts pour les studios, etc. Elle n’attend que pour ça. Ellle ne reste que pour des motifs strictement financiers. Si moi je trouve ça glauque, c’est quand même bien que c’est tordu, non ?

Pourtant, quand elle a commencé à en parler il y a une dizaine d’années, on ne peut pas dire que je l’aie retenue. Ma soeur était un peu petite encore, mais moi, j’étais pour, à fond pour. Elle ne se rend sans doute pas compte à quel point elle aurait sauvé ma vie si elle l’avait fait dés qu’elle a su qu’elle le voulait.
Elle ne s’imagine vraisemblablement pas ce que ça a été pour moi de rester pendant tout ce temps dans cet Enfer parce que, je cite « il faudrait qu’on aille habiter dans un petit appartement au lieu de vivre à la maison », et qu’elle ne voulait pas renier ce confort que mon père parvenait à lui assurer avec son salaire de fonctionnaire catégorie C. Toutes les douleurs de mon adolescence n’ont tenu qu’à ces 10 000 Francs par mois qu’il ramenait. J’ai beau compter et multiplier dans ma tête, je n’arrive pas à me dire que le laisser me rendre la vie cauchemardesque valait de telles sommes. J’ai souffert parce qu’elle voulait attendre que financièrement, ce soit plus simple, qu’il n’y ait plus nos études à payer, ce genre de choses. Elle a pu partir en vacances avec lui. Trois semaines aux Etats-Unis, il y a presque trois ans. Bien contente d’aller voir ses Indiens et de faire « le voyage de sa vie » avec un homme qu’elle n’aime plus depuis longtemps, pour lequel elle ne semble même plus avoir de tendresse, qu’elle refuse de toucher, et qu’elle ne fréquente que parce qu’il la met à l’abri.
Et moi je lui disais qu’on se débrouillerait, on aurait trouvé un moyen de quand même faire nos études, on aurait peut-être eu droit à des bourses auxquelles on a pas eu droit en les ayant tous les deux à la maison, ou on aurait travaillé à côté, ou elle aurait fait un peu plus d’heures, ou on aurait emménagé avec Mémé et elle aurait participé financièrement, enfin je sais pas, on aurait trouvé, mais elle refusait. Elle tenait trop au confort. Elle avait peur que ce soit trop dur sans lui pour aider à payer.

Mais est-ce que, comme on dit quand on compare des billes dans la cour, est-ce que « ça valait », maman ? Quinze ans après pour toi, c’est bientôt l’indépendance, pour moi c’est un éternel boulet. Je fais encore des cauchemars. Je pleure encore. Je suis en thérapie. Maman, est-ce que les vacances en famille une fois tous les 4/5 ans, la maison et l’abonnement au satellite, ça valait de vendre mon enfance à cet homme qui savait ramener de l’argent à la maison mais qui m’a blessée à jamais ? Ca valait, maman ? Tu aurais pu me sauver de là, mais tu m’y as laissée, tu as refusé, pour le confort, pas seulement le nôtre, le tien aussi. Et je paie encore, finalement, moi aussi je suis encore facturée pour tout ça.

Tu te regardes dans un miroir, des fois, en te rappelant toutes les larmes que jla petite fille que j’étais a versées, en te demandant que ça s’arrête, et où tu pensais « non, plus tard, quand le prêt sera remboursé », et que tu me disais de tenir bon, de ne pas tenir compte de toutes ces scènes atroces ? Est-ce que tu te rappelles toutes fois où tu me disais de serrer les dents, et tu te dis que ces fois-là j’ai payé les vacances à Vannes, à ma façon ? Est-ce que ce jour-là, dans la voiture, quand je t’ai demandé si tu avais déjà imaginé qu’il ait pu me toucher d’une autre façon, et que tu m’as répondu « oui, je me suis posé la question », est-ce que tu t’es dit que ce jour-là, au lieu de juste te demander, tu aurais dû réaliser que le simple fait de se poser sincèrement la question montrait que j’étais déjà en danger, et que ce confort-là était plus important que le salon en cuir verdâtre ? Est-ce que quand tu es venue me voir il y a deux mois, et que je t’ai supplié en pleurant de m’expliquer pourquoi, juste pourquoi il m’avait fait ça pendant toutes ces années, quand tu as vu que ta fille de 27 ans payait encore les pots cassés, et ne comprenait pas en quoi elle avait mérité d’être traitée de merde pendant les années formatrices de sa vie, est-ce qu’il y a deux mois tu as hésité à me dire « c’est ma faute, lady, j’ai pas eu le courage de l’arrêter et te sortir de là, j’aurais pu mais j’ai pas voulu » ? Est-ce que tu ne ressens pas un tout petit peu de honte en toi-même d’avoir trahi à la fois ton mari et ta fille pendant ces 15 années de plaification méticuleuse ?
Et quand tu me dis que, quand je déménagerai, après ma titularisation, dans un appartement dont vous ne serez pas propriétaires, et que je ne serai pas obligée de garder contact avec mon père, est-ce que tu réalises que je me pose la question pour toi aussi, après t’avoir vu laisser tout ça se faire, sans rien dire, jamais ?

La première fois que tu l’as arrêté, tes mots ont été : « arrête, tu vas casser quelque chose », pas « arrête, tu vas casser notre fille ». Est-ce que pendant ces 15 ans tu as pensé à ça un peu aussi ?

Alors voilà, le moment est venu où, dans ma famille, on va commencer « enfin » à en arriver à l’instant crucial où ça va se faire. Mais aujourd’hui ça ne compte plus que pour elle. Aujourd’hui c’est son indépendance, sa liberté, sa vie qui compte. Comme si moi, moi c’était juste un dommage collatéral. Quand ça aurait pu faire une différence, elle n’a rien fait. Maintenant, moi j’ai fait mon deuil de ce divorce. Il aurait pu me sauver, ce divorce, mais s’il intervient maintenant, c’est juste entre eux. Et ma soeur et moi, on sera même bloquées dans une situation encore plus inconfortable.

Pendant toutes ces années j’ai travaillé sur moi pour pardonner à mon père. Parfois, juste parfois, je l’aime bien, ce pauvre type qui n’a aucune idée de ce qui se passe, et qui tuera quelqu’un ou se suicidera quand ça lui tombera dessus comme un piano dans un cartoon. C’était facile d’imaginer de partir quand j’avais encore la haine, mais j’ai appris à abandonner la haine. Ca m’a pris tant de temps de ne plus le haïr. De laisser partir la colère. Et maintenant j’ai tellement pitié. Je ne peux rien pour lui. Si je lui dis, quelle différence ça fera, elle partira quand même. Et moi je serai là, je devrai être là pour mon bourreau, parce que j’ai eu 15 ans pour réaliser qu’il était aussi mon père et que c’est la raison pour laquelle j’ai tant souffert : il n’était pas un bourreau comme les autres, il ne m’aurait pas fait autant de mal s’il n’avait pas été mon père, s’il n’avait pas été celui que j’aime aussi dans le fond. Et il faudra que je le soutienne, lui aussi. Une fois de plus, c’est son confort à elle en échange de mes questions et mes douleurs à moi.

Tu n’as donc aimé que toi pendant ces 15 ans ?
Décidément, entre toi et papa, je ne saurai jamais lequel est le plus vénéneux pour moi.

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2 commentaires

  1. freescully dit :

    Magré toutes ces années de préparation, es-tu vraiment sûre qu’elle va le quitter? La mienne aussi a tenu ce genre de discours mais finalement elle a dû juger que se mentir à elle-même et aux autres était plus confortable que de quitter mon père pour recommencer une nouvelle vie « à son âge ». Il y a toujours quelque chose qui l’empêche de le faire. Comme toi j’ai arrêté d’attendre. Ca ne me concerne plus.

  2. ladyteruki dit :

    Finalement, elle ne va pas le faire ? C’est probablement ce que je me suis dit depuis le temps qu’elle en parle. Mais je crois que le choc du jour, c’était quand elle a mis une date dessus (« après Noël »), et pour l’en avoir entendu parler progressivement avec les années, je sais qu’elle a complètement prévu la façon dont va se passer, elle est prête, elle attend juste le moment ; c’est ce qui a été l’occasion pour moi de réaliser que ça n’a pas été mon enfance de m*rde, le déclic pour qu’elle parte, mais simplement que les objectifs financiers qu’elle s’était fixés sont bientôt atteints. C’est ça qui me met à l’envers, en fait. J’ai l’impression qu’elle m’a vendue, à sa façon.

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