Would all this be true ?

24 mars 2009 à 21:02

J’ai passé les derniers mois à mentir. A beaucoup de monde.

J’ai d’abord commencé par me mentir à moi-même, c’était il y a environ six mois, alors que c’était quelque chose que je me targuais de ne jamais faire. Un peu moins de vantardise, un peu plus d’honnêteté : depuis septembre, je me suis laissée suffoquer. Ça n’allait pas, et c’était de pire en pire. Et j’ai refusé de m’en parler.
Je devrais pouvoir reconnaître les symptômes, je sais les reconnaître d’ailleurs, en fait ce n’est pas le problème. Le problème c’est que je refusais de croire que la maladie se déclarait à nouveau. J’avais fait tant d’efforts pour m’en sortir les deux premières fois. La lutte avait été si acharnée, pour tout dire, et puisque si j’écris ici c’est bien pour arrêter de mentir, que je pensais que jamais la maladie ne frapperait plus à nouveau, parce que j’étais guérie. J’étais forcément guérie.
Je devais être guérie parce que, voyez-vous, on a beau avoir un peu roulé sa bosse et s’en être fait plein un peu partout, on continue de croire qu’après la pluie le beau temps, et toutes ces conneries qu’on ne veut surtout pas entendre quand ça va mal, mais auxquelles on se raccroche que les choses s’améliorent, parce qu’on veut vraiment, vraiment, vraiment, voir le bout du tunnel.

Je sais pourtant que la maladie sera toujours là. Depuis des années je sais qu’elle est semblable à l’alcoolisme : tapie dans l’ombre, elle attend un moment où, par inadvertance, vous relâchez votre attention, vous baissez votre garde, vous vous croyez arrivé, et c’est là qu’elle vous happe, vous plante ses crocs dans la gorge, et vous recommencez à agoniser comme avant, avec cette douleur supplémentaire de savoir que, nom d’un chien, j’ai failli en réchapper, j’aurais vraiment pu, je n’étais pas si loin du but. Mais ce n’est pas une maladie dont on réchappe. C’est une maladie qu’on passe sa vie à combattre.

J’ai longtemps pensé que c’était similaire à l’alcoolisme, mais si c’est le cas, c’est à deux différences près.
La première, c’est que le verre de vin, la bouteille de bière, le toast  de champagne, c’est matériel. On le voit. On sent le verre froid (ou glacé, c’est selon) dans la main. On sait à quel moment il faut résister… et à partir de quel moment on va flancher. Ce sera en entrant dans le bar, ou pas avant d’avoir senti l’alcool dans le verre des autres, mais c’est matériel, on le sait, on le sent, on le voit. Ma maladie à moi est insidieuse et ce n’est qu’une fois qu’elle est déjà à un stade avancé que je m’aperçois de la récidive. J’essaye de prévenir mais je n’arrive qu’au moment où il faut guérir.
La seconde, et je la déteste plus farouchement encore, c’est que si j’ai toujours eu la conviction que l’alcoolisme était une maladie, j’ai mis longtemps, très longtemps, à admettre que, moi, oui moi ladyteruki la fière la forte la courageuse qui a survécu à tout ce qui lui est tombé sur le coin du nez, j’étais malade. Malade. Tu entends ça, ma grande ? Tu es malade. Dis-le encore. Malade. Accepte que ce n’est pas juste un état, ni une période de ta vie. C’est une maladie. Que tu dois soigner. Que tu dois combattre. C’est à la vie à la mort, yen a une des deux qui gagnera, arrange-toi pour que ce soit toi, ce n’est pas une question de faiblesse, ce n’est pas une question de lâcheté, c’est une maladie et au contraire, à toi de te montrer forte et faire comme dans les films où l’actrice a un cancer et perd tous ses cheveux, et te battre jusqu’au bout même si on a une petite idée du résultat.

J’ai lu les mots de Fran Drescher parlant de son cancer, j’ai lu tout le livre, parce qu’il parlait beaucoup plus de moi qu’elle ne le pensait en l’écrivant, évidemment. Ce qui m’a marqué, entre autres, c’est sa profonde conviction que ce n’était pas parce qu’elle allait mieux qu’elle était guérie. Il faudrait surveiller. Et qu’il faudrait attendre 5 ans avant de s’estimer tirée d’affaire. Cinq années sans la moindre rechute, sans la moindre crampe, sans la moindre petite boule, sans le moindre saignement. Depuis le livre, les 5 ans sont révolus, et je ne sais pas, j’espère juste qu’elle n’aura pas à écrire un autre livre, le troisième, celui qui vient quand on fatigue franchement. Mais bien que j’aie lu les mots, mais je n’ai pas assez retenu la leçon d’une des femmes que pourtant j’admire le plus au monde. Effectivement ça prouve que je n’ai rien compris à ma propre maladie.

Par contre, l’un des points communs, à ces deux maladies, la mienne et l’alcoolisme, c’est qu’on ment.

Je sais comment j’ai commencé à mentir, mais j’ignore encore pourquoi. Je sais que je devais mentir pour survivre, c’était il y a très longtemps et c’est pourtant encore si vivace que j’en pleure encore. Je sais aussi que je devais mentir pour avoir des petits luxes dans la vie : regarder la télé en attendant que mon père rentre du travail, jouer à la GameBoy le samedi après-midi, aller faire du vélo dans la rue et pas juste rester dans les quelques mètres de l’allée du jardin. On m’a appris très tôt que le mensonge, c’est la liberté. Mais j’ai simultanément appris que le mensonge est une prison.
Combien de fois ai-je passé les dernières heures du jour à faire le point sur les mensonges de la journée : ce que j’ai dit à qui, qui croit quoi, n’y a-t-il pas deux mensonges dits à deux personnes et qui se contredisent, comment untel peut apprendre telle vérité, et si c’est le cas, quel nouveau mensonge trouverai-je pour que ce soit moins pire que prévu, pour supporter la conséquence du mensonge, de toutes façons la vérité n’aurait pas plu, le mensonge non plus, mais le mensonge a permis que je sois libre, une, deux, peut-être trois heures aujourd’hui, le mensonge a ce prix, j’ai payé très tôt, j’avais le porte-monnaie large dans ce domaine mais le sommeil très court, un autre prix à payer sans doute.
Mentir, mentir, mentir. Se mettre à la place des autres, de ce qu’ils savent, pour que le mensonge soit parfait. Si j’étais untel et que j’avais entendu tel mensonge, qu’est-ce qui le rendrait plus plausible ? Qu’est-ce qui me mettrait le doute ?
Mentir. Mentir à Papa pour ne pas se faire engueuler plusieurs heures ce soir, juste pour avoir sorti le chien 45mn au lieu de 30. Mentir à Maman pour qu’elle n’ait pas à mentir à Papa, ou moins que moi. Mais Maman n’est pas dupe. Mais on fait semblant. On fait tous si bien semblant. Qu’est-ce qu’on est bons à ce jeu-là… J’adore le Monopoly, c’est mon jeu préféré, mais je suis bien meilleure au jeu du mensonge et du hasard. Qui découvrira la vérité, et quand ?
Mais quel pouvoir que de se dire qu’un jour on peut lâcher la vérité comme un faucon lors d’une partie de chasse, et regarder les ravages que fait un mensonge qu’on a mis à nu devant tous ceux qui s’étaient arrangés pour le croire.

Mentir, ça fait partie de mon fonctionnement.
Aussi quand je dis que je vais bien, celui qui me croit y trouve forcément son intérêt mais n’a aucune idée du mien.
Quand ma copine vient se faire un samedi soir entre filles, chez moi, qu’elle y entre pour la première fois, et de surcroît après presque trois mois d’arrêt de travail, trois mois où nous nous sommes à peine parlé, donc deux pendant lesquelles elle n’a pu papoter qu’avec mon répondeur, alors je sais qu’elle a aimé mon mensonge, et que je vais m’y tenir : oui, je vais mieux. Crois-le puisque tu le veux. Je ferai semblant encore un moment, jusqu’au jour où ça me fatiguera de te mentir, et je te mettrai au pied du mur : la vérité, ou l’exclusion.
C’est souvent l’exclusion. Il y a des vérités qui sont dures à entendre, et je ne suis pas certaine que le mensonge qui les précède aide tellement à avaler la pillule. Mais c’est qui je suis. Une menteuse invétérée qui a besoin de dire aux gens que tout va bien quand ça ne va pas. Et qui préfère ne rien dire que de devoir mentir tant la vérité fait honte.

Car la vérité, c’est donc que je suis malade. Et que ça me ronge. Et que je lutte contre la maladie, et bon, ça fait quelques semaines que, ça y est, je reprends pied, mais je mens encore, et je me tais envers ceux qui n’ont même pas droit au réconfort d’un mensonge, c’est comme ça.
C’est quoi l’autre alternative ? La vérité ? Dire aux gens que ce blog, qui a des années derrière lui, n’a en fait pas vraiment progressé ? Qu’au fond de moi je suis toujours profondément blessée et que je suis la seule responsable d’avoir laissé la maladie gagner à nouveau ?

Je peux blâmer les causes directes, je peux dire que c’est le premier homme que j’ai aimé qui m’a brisé le coeur et m’a poussée à vouloir mourir, je peux dire que c’est l’homme avec lequel j’ai eu une relation si longue et intense qui m’a détruite lorsqu’il m’a retiré toute son affection, je peux dire que c’est la mort de ma grand’mère qui m’a figé il y a trois ans en arrière émotionnellement, je peux dire que c’est le dernier homme en date à avoir filé comme un voleur qui m’a dégoûtée, je peux dire que c’est mon cher Monsieur Patron qui me manque comme une partie de ma chair, je peux dire que c’est Blondie qui m’a crevé le coeur avec ses faux ongles en plastique… ce ne seront jamais que des mensonges. A un moment donné, ce sont les causes directes qui font que je vais mal, c’est en partie vrai. Mais la vraie cause, celle qui provoque la maladie, quand est-ce que je la dis enfin ? Quand cette vérité sort-elle ?
J’ai l’impression de n’avoir fait que ça, de n’avoir dit que cette vérité-là, et de n’avoir pourtant rien dit. Et après je m’étonne de retomber malade au premier coup de grisou, je devrais avoir honte. C’est pire que se complaire dans le chagrin, si ce n’était que ça, ce ne serait que pathétique, mais en fait c’est pire de ne pas savoir le dire.

Il y a les traitements. Ils sont variés. J’en ai essayé plusieurs. Simultanément. Il y a les médicaments, mais les effets secondaires… ne sont pas de second ordre. Il y a le médecin, mais ça coûte, et après plusieurs expériences, je ne sais pas si j’ai raison de chercher chez eux la réponse qui est en moi.
Il y a la troisième voie, aussi.
La troisième voie, en fait, est celle qui, parce qu’elle est combinée aux autres, mais que j’y investis le plus d’énergie, elle est celle, donc, qui me guérit. De façon passagère, certes, mais quand même. En plus de la chimio et du toubib, la troisième voie est même essentielle.

Elle passe par le replis complet sur moi-même. Sur ce que j’aime. Pendant que je me bats contre cette maladie, il faut que j’élimine tout le reste. Le reste, c’est toi, toi, toi, vous, et vous là-bas. Quand je ne suis pas malade, je vous aime bien, je vous aime beaucoup, j’ai besoin de vous, ça dépend. Mais que la maladie se déclare et je n’ai à vous offrir que le choix entre le mensonge et le silence. Et je n’ai pas encore réussi à savoir ce qui pouvait vous insulter le plus ; il n’y a donc pas malice.
Expédiés les amis qui ne savent rien de moi et qui me jurent au téléphone que je suis leur grande copine, expédiés les parents qui de toutes façons pense que c’est moi qui suis une merde irrécupérable, expédiés les potes d’internet qui envoient encore des mails auxquels je n’ai pas envie de répondre en mentant et à qui j’offre donc un déconcertant silence, expédiés les collègues qui m’ont pourtant prise dans leurs bras quand ils ont remarqué quelque chose parce que quand Blondie hurle, je vous prie de croire que tout le monde le sait, mais voilà, ça n’a rien à voir avec aucun d’entre vous, c’est entre moi et moi, et d’ailleurs moi et moi, on a tant à se dire qu’on n’en finit plus de se parler, et je n’ai pas de mots pour vous, ou alors pas de vrais. Il faut un sens des priorités. Et ça, les maladies précédentes me l’ont quand même appris, mais la priorité, c’est et ce devra toujours être moi.
Vous êtes blessés ? Eloignés ? Irréparablement vexés ? Tant pis. Ce qu’il faut, c’est qu’il me reste moi, à peu près vivante, faut faire ce qu’il faut, et ce qu’il faut, c’est me séparer de vous, take it or leave it. Souvent c’est leave it, tant pis pour vous.
De toutes façons je ne me sens pas vraiment seule dans ces périodes-là, les perdants sont forcément dans le camps d’en face, c’est-à-dire lady contre le reste du monde, mais le reste du monde se remet toujours de l’absence de lady, alors l’un dans l’autre on s’y retrouve.

Une fois de plus, je fais le vide autour de moi pour pouvoir faire le plein en moi. C’est juste comme ça. C’est pas facile à encaisser pour ceux qui ont un minimum d’intérêt envers lady, mais c’est comme ça, parfois je sortirai de votre univers pour me plonger dans le mien, et je reviendrai, et vous aurez tourné la page, ou vous vous réjouirez de mon retour, et puis c’est comme ça que ça marche, un point c’est tout. Ya plein d’autres filles de par le monde moins compliquées, pas malades, allez voir par là si j’y suis, si vous ne pouvez pas tenir la distance. Et n’allez pas vous raconter que vous pouvez tenir la distance, parce que vous ne pouvez pas, et n’allez pas vous raconter que vous me guérirez, parce que vous ne pouvez pas, et n’allez pas vous raconter que vous allez me sauver, parce que des sauveurs, il y en a eu des hordes avant vous, et ils s’y sont tous cassé les dents, remballez votre petit tonnelet de gnôle et rangez votre panoplie de Saint-Bernard où vous l’avez trouvée, la solution c’est moi, la guérison c’est moi. Ou ce ne sera pas.

J’ai qu’à arrêter de mentir, et rester entre moi, jusqu’à ce que ça aille mieux, c’est tant pis pour vous.
Moi, moi et moi-même, on a pris grand soin de nous ces derniers jours, si ça peut vous consoler. On est sur la bonne voie. Mais je vous parlerai pas, parce que je veux essayer d’arrêter de mentir, et franchement, pour le moment, les seuls à qui je mens encore, comme à l’instant au téléphone, c’est à Papa et Maman qui pensent que je vais mieux.
Je ne vais pas mieux. Mais j’y travaille.

Le sommaire du jour, c’était une partie de Civilization IV (qu’en plus j’ai gagnée), aller retirer quelques sous, acheter une boule de pain chaud et du fromage, et retourner au cinéma pour voir un film qui fait chaud au coeur. Moi, seule dans une salle de 200 places, le projecteur qui ne tournait que pour moi, un paquet de fraises Tagada et un Yop à la fraise.

La troisième voie, c’est ça, en plus de la chimio et du doc.
Et le retour à la normale, c’est pour quand je n’aurai plus besoin de me faire un planning pour sourire une fois ou deux dans la journée.

C’était ma première vérité depuis des mois. Ca ne fait pas du bien, mais c’est quand même mieux que rien.

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2 commentaires

  1. Jérôme dit :

    Permets-moi de te présenter mes excuses, car à la lecture de ce billet (dont je viens de découvrir l’existence) je me sens quelque part soulagé.

    Je ne te souhaite pas de mal, loin de là, mais au moins, je sais maintenant que je ne suis pas la cause de ce silence qui après m’avoir énervé (navré, mais je suis un peu soupe au lait) m’a sérieusement inquiété.

    Je comprends, maintenant, tout à fait ton isolement et c’est vrai que la compagnie des autres est nocive lorsque l’on essaie de se reconstruire…

    Pour ce qui est du « sauveur », j’ai beau posséder un short et un blouson rouges ainsi que le flotteur qui va avec, le rôle de l’emmerdeur qui met les pieds dans le plat me sied mieux, donc tu peux dormir tranquille.
    Je suis en tout cas rassuré de voir que même au plus mal, tu restes lucide, puisque tu vas voir de bons films, contrairement à tous cas désespérés qui s’abaissent à plébisciter COCO…

    Toujours est-il que lorsque toi et toi-même en aurez assez d’être en tête à tête, je serais ravi de « vous » lire à nouveau, car si tes maux t’appartiennent, tes mots me manquent !

    Il y a de la dignité dans ta façon de lutter, mais sache que je serais là quand tu seras prête à reprendre une correspondance.

  2. T dit :

    Tu sais ou me trouver si et quand tu as envie de parler a quelqu’un

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