Je sens bien qu’avec ce qui se passe au travail, je suis involontairement tournée vers le passé en ce moment. Certaines personnes ont juste le don de rouvrir les portes qu’on a tout fait pour tenir fermées.
Depuis l’anniversaire de ma mère, certains épisodes douloureux me reviennent avec une violence inouïe. Mais, à la rigueur, à ce que mes souvenirs de guerre me reviennent, je m’y attendais un peu vu ce qui s’est passé. Avec cette collègue, je sais que j’ai en fait remplacé un harcèlement par un autre. J’y réagis peut-être un peu mieux qu’il y a 20 ans, et ce serait heureux, mais je m’aperçois bien des similarités, j’ai appris à les dépister.
Ce à quoi je m’attendais moins, c’est à tout un tas d’épiphénomènes plus ou moins conscients.
Je sais que je vais sur Copains d’avant consulter tel profil, de cela je suis par exemple pleinement consciente. C’est une partie moins sombre de ce qui s’est produit par le passé, ça n’a rien à voir avec mon père, mais je prends quand même une demi-heure pour y retourner, et faire ce voyage n’est pas innocent en cette période où, au moins une fois par semaine, je fais à nouveau mes cauchemars de vampires. Largement moins prévisible était le rêve de cette nuit.
Je le sentais un peu distant, je me disais que je me rapprochais de lui par réflexe, « encore », et que j’allais à nouveau en souffrir. Mais au moment où nous nous embrassions prudemment, du bout des lèvres, et que je reconnaissais le goût âcre et si particulier de sa salive, il me disait alors, avec cet air à la fois pur et bête qu’il avait autrefois, qu’en réalité, cette fois, il voulait y aller doucement, pour ne rien gâcher.
C’est mon dernier souvenir : la bouffée de tendresse qui m’a envahie en entendant ces mots.
Je me suis réveillée, et je me suis dit : c’est vrai, il est le seul dont je me souvienne du goût de ses baisers. A une époque, je le lui reprochais.
N’allez pas croire que c’est de la nostalgie ou des regrets, et encore moins quoi que ce soit d’autre. C’est juste qu’en ce moment, je vis un peu dans un autre espace-temps. Mon cerveau n’a de cesse, pendant mes heures de veille comme celles de sommeil, de raviver tout un tas de souvenirs, certains douloureux, certains doux, certains amers, certains terrifiants, venus de plein d’époque de ma vie.
Ce n’était qu’un rêve, mais un rêve qui comme par hasard tombe maintenant, au moment où je voudrais tant aller de l’avant, mais où quelque chose me retient en arrière. Me retient au fond.
Ce qui toute ma vie a été l’une de mes angoisses les plus vivaces, et les plus irrationnelles, se produit depuis plusieurs semaines : une main invisible, surgie des ténèbres, a attrapé ma cheville.
Du coup, vu l’état dans lequel j’étais, j’ai pris LA décision. Celle dont je savais depuis des années que je la prendrais quand j’aurais de l’argent.
J’ai de l’argent. Je l’ai prise.
Demain, je replonge encore plus dans toutes ces années. Pour en sortir une fois pour toutes, à terme.
J’espère.