Il fait noir. Oh mon Dieu, tout est noir ! J’ai ouvert les yeux et il fait toujours noir ! A l’aide ! Je suis aveugle !!!
En tant que téléphage (et de surcroît avec des oreilles aussi paresseuses que les ovaires de Miranda Hobbes… j’aurais pas dû faire ce test de BuddyTV), c’est mon pire cauchemar, évidemment.
Alors, lorsque mon amie l’ophtalmo m’a gentillement cloué les yeux avec de l’acide (elle dit que c’est pour faire un fond de l’oeil, mais je ne suis pas dupe !), me rendant aveugle pour quelques temps, la panique s’est forcément emparée de moi. « C’est temporaire », qu’elle disait ; et moi, inquiète, je répétais : « Temporaire comment ? Ok nan mais ça fait combien, en épisodes ? Bon, disons qu’on compte en comédies, combien ? Dites, combien ? Un épisode, deux ? Plus ? Combien ? » Elle m’a renvoyée chez moi avec une tape sur l’épaule (mais je suis aveugle, au nom du ciel, ne me relâchez pas dans la rue comme ça, j’ai tout un pâté de maison à contourner !) et un petit sourire… oh je ne l’ai pas vu, le sourire, mais il s’entendait et il était narquois. « Tout va bien aller… ». Merci mais ça ne répond pas à ma question.
Ma vue a baissé. Je me rapproche du jour où je devrai me contenter de la radio, comme les vieux. Ah nan, pas ça, ils ne font plus de série à la radio… Si ? Non, je pense que ça n’existe plus. Faudra que je me renseigne, quand même. Pour plus tard. Ou moins tard que je ne le pense. Oh mon Dieu je deviens aveugle !
Je suis rentrée tant bien que mal chez moi, ait laissé mes chaussures dans l’entrée en trébuchant dessus, ait piétiné un chat ou deux (quelle est votre excuse à vous les matous, vous qui pouvez même voir la nuit ?!), me suis allongée toute habillée sur mon lit trouvé en tâtonnant, et les mains jointes sur le ventre, et j’ai attendu que le plafond retrouve sa couleur initiale, passant du noir au blanc. Ou disons qu’il devait l’être il y a 10 ans.
Et j’ai réfléchi.
Ce qui fait l’intérêt d’une série télé par rapport à un feuilleton radio, ce n’est pas simplement de voir, oh les jolis filtres des Experts du Siqueur, oh les décors qui arrachent la cornée de Hidden Palms, oh les formes affriolantes de Shemar Moore (bah, quoi ?). Non, ça va bien plus loin, évidemment.
C’est même au-delà du ravissement sans nom qu’est Pushing Daisies à chaque instant.
C’est bien plus que tout cela. Qui est pourtant déjà pas mal, je vous l’accorde.
C’est voir tout le langage non-verbal, ce qui à mon sens distingue l’acteur-fonctionnaire de l’acteur-artiste.
C’est voir les personnages grandir, vieillir, évoluer.
C’est voir un interprète apprivoiser son personnage. Un styliste en affiner l’apparence, la faire évoluer.
C’est voir la différence d’un demi-millimètre à peine qui réside dans l’oeil d’un acteur qui nuance sa peur en terreur, ou sa colère en rage, ou son amour en passion.
Perdre mes yeux, c’est perdre les yeux de ces centaines de gens qui ont affiné, peaufiné, chaque personnage, pour lui donner sa substance actuelle !
Passant progressivement du noir au gris, puis du gris au presque blanc, les doigts enlacés sur le ventre, je songeais à tout ce que je perdrais si j’étais aveugle. Quand la lumière est réapparue, j’ai foncé chez l’opticien avec ma belle ordonnance, et j’ai supplié pour qu’on me donne le nec plus ultra des lunettes ! Peu importe le prix, j’ai un rein dont je n’ai pas usage de toutes façons…
Je suis allée chercher ma nouvelle paire d’yeux quelques jours plus tard. Je suis rentrée chez moi, éblouie. J’ai allumé l’écran. J’ai retrouvé mes séries.
Ou bien ?
Subitement, j’ai remarqué une ride au coin du regard de Fran Drescher. Une dent légèrement sortie de l’axe, cachée derrière la lèvre inférieure taquine de Lee Pace. Un grain de beauté insoupçonné sur le visage de Christina Applegate. Vous voyez ? Mon regard a déjà changé.
Orgie d’images ! J’ai de nouveaux yeux et je compte bien m’en servir pour tout regarder à nouveau ! Vérifier ce que j’ai raté ! Les détails à côté desquels je suis passée ! Les nuances que je n’ai pas saisies au premier regard !
Et puis, mon ophtalmo me l’a bien dit : « Vous ne pouvez rien faire pour empêcher votre vue de baisser, c’est normal (ç’aurait même dû se produire au moment de l’adolescence). Alors profitez de vos yeux tant que vous les avez ».
Eh, si ce sont les ordres du médecin…
On va finir par t’appeler Mary Ingalls si tu deviens aveugle comme ça !!!
J’ai aussi la vue qui baisse un peu, mais je fais semblant de ne pas le voir (hahaha mais qu’elle est drôle…)…
Mais si c’est le médecin qui le dit, alors allons-y, tous ensemble : « a tv series a day keeps the doctor away » !!!
Moi aussi, c’est ma plus grande crainte, et ça l’a toujours été, surtout parce qu’en plus d’être sériephage, je suis bibliophage (quoique quand j’étais gamine, je voulais être aveugle juste pour apprendre le braille… -_-‘) Si je ne pouvais plus ni lire, ni sériephager, je ne sais pas ce que je ferais, franchement…
Après avoir baissé petit à petit, ma myopie s’est enfin assagie et reste à peu près au même point depuis quelques années (mais -10 quand même à l’oeil gauche). Mais bientôt, l’âge va faire son boulot… Alors je fais comme te l’a dit ton ophtalmo, j’en profite.
Et bienvenue dans le monde des bigleux !
@freescully : oh, j’aaaaime ce dicton. Ca ferait super sur une bannière de blog ! Et puis Mary c’était quand même la plus jolie des filles Ingalls alors, à la rigueur…
@Scarlatiine : ah, aurais-tu lu l’histoire de Helen Keller au collège, par hasard ? Ca ressemble bien à l’effet Helen Keller, ça.
Damned, je suis démasquée ! Oui, je l’ai lu, mais ce n’est pas cette histoire qui me donnait « envie ». En plus, j’étais beaucoup plus jeune… en fait, je crois bien que c’était l’effet Mary Ingalls !
Ah se priver des filtres du Siqueur… Moi j’dis, ce serait impardonnable (qui a dit que même un myope les verrait comme avec son 10/10 ? Roh, lady, faut pas dire de méchancetés comme ça…)…
Y’a encore un sériephage qui n’a pas le droit à sa paire de lunette ?