J’ai toujours dit que Star Trek, c’était mieux d’écouter les fans en parler que de regarder. Il est très rare qu’une communauté de fans soit aussi enthousiasmante, et surtout de façon si contagieuse.
Franchement, quand la plupart d’entre nous regarde un épisode de Star Trek, n’importe lequel, de n’importe quelle série de la franchise, il a tendance au mieux à trouver ça très limité, au pire à se moquer ouvertement. On ne peut guère nous le reprocher. La forme que prend cette série, en dépit de plus de 40 ans de longévité, est sincèrement peu engageante pour les non-initiés.
Je ne dis pas ça à la légère : en plus de m’être fait un devoir de regarder le pilote de chaque série de ladite franchise, j’en ai aussi regardé un paquet d’autres, ainsi que des films, j’ai aussi lu deux des encyclopédies dédiées au sujet, et fait l’acquisition d’un recueil de citations, quasiment toutes séries confondues. Je me suis donc largement documentée sur le sujet avant de venir vous asséner cette pensée stéréotypée sur Star Trek ! Ainsi, j’ai regardé des épisodes (même si c’est l’un de mes ex qui a eu la garde des coffrets de Deep Space 9), lu de nombreuses choses sur le sujet, mais, voyez-vous, ce qui a été le plus décisif dans ma façon d’aborder Star Trek, ç’a été de voir et écouter les fans. Personne ne parle aussi bien de sa série préférée qu’un Trekker ou un Trekkie. Il y a en effet une certaine discussion interne autour du terme à utiliser pour nommer les fans de la franchise, mais notons que tous deux, bien que se comportant parfois en frères ennemis, partagent une passion sans commune mesure pour Star Trek, et c’est bien ça qui compte.
Sans aucune mesure, devrais-je dire en fait. Ainsi que j’ai pu le voir dans le documentaire Trekkies (eh oui, j’ai aussi une VHS pour ça, et je la regarde de temps à autres avec plaisir, en plus), le fan de Star Trek, que je nommerai ici Trekkophile pour couper court à toute forme de dispute, ne connaît pas la retenue.
En fait, de mon point de vue, le Trekkophile, c’est le téléphage ultime, celui qui ne cède pas un pouce de terrain au bon sens ou à la modération, qui se jette à corps perdu et ne fait pas marche arrière simplement parce que ça peut sembler bizarre ou extrême aux yeux du reste du monde.
Le Trekkophile, c’est donc, je l’ai dit, un bonheur de le regarder s’ébattre dans sa passion, et un plaisir véritable que de l’écouter en parler. Rares sont les communautés de fans si persistantes, si investies, si affectueuses, et si consommatrices, aussi. Mais tous ces braves gars un peu timbrés ont réussi, et ça tient quasiment du miracle, à concilier leur consummérisme et leurs valeurs.
Parce qu’il faut le souligner, les Trekkophiles de tous poils retiennent avant tout de leur série fétiche un certain nombre de valeurs ; là où le téléphage moyen (ne parlons même pas du simple spectateur) ne retient de sa propre série préférée qu’une affection pour les histoires, les personnages, ou même simplement une adoration pour les acteurs, le Trekkophile, lui, va déjà un cran plus loin, et si effectivement il a intégré tout cela, comme n’importe qui, et qu’il apprécie ces éléments avec, comme il se doit, un regard critique sur leur qualité, il est aussi doté d’un pouvoir supplémentaire : il est capable d’extraire d’une série une somme de valeurs humaines, et de s’identifier à elles. Parce que Star Trek, à écouter cette communauté, c’est avant tout un idéal de société, où chaque homme s’efforce de concilier sa nature profonde, imparfaite, parfois sombre, avec l’espoir d’une amélioration aussi bien personnelle que globale (la seconde passant indubitablement par la première). C’est, dans le fond, à cela qu’adhèrent Trekkers et Trekkies, y compris lorsqu’ils fouillent leurs fonds de tiroirs pour faire l’acquisition de la dernière version de tel écusson, de l’édition limitée de telle figurine, ou de quoi que ce soit d’autre, et le catalogue est de toutes façons trop long pour que je me lance dans une énumération.
Presque paradoxalement, c’est ce à quoi il aspire : une société qui lutte contre son matérialisme, sa violence, son individualisme, pour s’approcher au plus près d’un code de l’honneur qui espère guider l’homme vers une certaine droiture, en dépit des réflexes animaux qui le dominent parfois. A entendre les Trekkophiles, toutes générations confondues, Star Trek, c’est avant tout le combat de l’homme contre lui-même. La téléportation et les phasers en prime.
Ce qui est proprement hallucinant, c’est que nous, quand nous regardons cette série, nous ne voyons pas tout ça, mais alors pas du tout ! Nous voyons des plans serrés très scolaires, des dialogues bavards et inerminables, des pyjamas bicolores et des effets spéciaux qui vieillissent mal, même pour Enterprise. Ce n’est qu’une fois happés par le regard d’un Trekkophile comme dans un vortex que nous parvenons à toucher du doigt ces idéaux que la franchise semble véhiculer. Mais la plupart d’entre nous est vouée à y rester désespérément insensible.
Après des années de lecture, de documentation, et de visionnage, je ne suis toujours pas une Trekkophile. J’ai, honnêtement, vraiment, essayé d’adhérer à leur mouvement, parce que lorsqu’on lit ce qu’on lit, et qu’on entend ce qu’on entend, on ne comprend pas qu’on puisse voir ce qu’on voit.
Et parfois je ressens cette petite étincelle, moi aussi, fugacement, mais elle ne dure pas et je reste désespérément en-dehors du circuit, avec l’impression de n’avoir jamais vraiment compris. En dépit, par exemple, du plaisir que j’ai à lire et relire le recueil de citations des 4 premières séries de la franchise, et à y trouver une profondeur et une intelligence peu communes dans l’univers de la fiction télé, j’ai du mal à regarder la série avec le même regard d’ensemble et à être capable d’en extirper moi-même les perles de sagesse qui semblent la truffer. C’est comme ça, je ne verrai jamais le miracle. Mais j’admire, sincèrement, la faculté qu’ont ces fans à s’impliquer autant, et à voir plus que ce que l’oeil perçoit au premier regard. Même si parfois, il faut bien le dire, ça fait un peu peur.
Oui, Star Trek, c’est mieux d’écouter les fans en parler que de regarder. Sans quoi, on ne sait jamais, on pourrait devenir l’un d’entre eux…
Je ne dirais qu’une chose pour avoir été confrontée une fois à une Trekkophile (ou un Trekkophile parce que vraiment dans son cas, c’est triste mais je n’aurais vraiment pas su dire) qui a voulu m’inviter à une réunion nationale de fans (« comme ils font aux Etats-Unis, c’est la première en France ») alors que je voulais juste acheter un manga : La Trekkophilie, ça fait peur…