Ma grand’mère était une femme formidable. Mais je ne suis pas là pour vous faire son éloge, ce n’est pas le but de ce blog, et puis, bon, vous l’avez ratée, c’est trop tard, fallait y penser plus tôt.
Par contre j’ai réalisé récemment qu’en fait, c’était une téléphage. Enfin disons qu’on n’est pas passés très loin.
Pendant des années et des années, elle n’a pas eu de télévision, ce qui, il est vrai, la disqualifie quelque peu pour le titre de « plus vieille téléphage de la famille ». Elle clamait souvent qu’elle n’en avait jamais eu besoin ; son truc à elle, c’était les livres. Ça, c’est ce qu’elle disait.
En vérité, quand elle a été à la retraite et qu’elle a eu sa première télé, elle a commencé à agir différemment de ce qu’elle disait !
Par exemple, il était de tradition qu’après le déjeuner, elle regarde Les Feux de l’Amour. Ouais. Je sais. Et elle était seule sur ce coup ! Ma soeur et moi, bien que loin d’être immunisées contre le virus de la téléphagie et l’appel de l’écran allumé, nous tenions respectueusement à l’écart. On était habitués aux gens qui avaient des goûts téléphagiques de merde (après tout, ma mère est bien une inconditionnelle de Walker, Texas Ranger…), mais c’est pas une raison pour frayer avec eux.
Elle ne chercha qu’une fois à nous pervertir à son vice, en nous présentant la série comme suit : « bon, tu vois Victor ? eh bien les personnages de la série, soit ils travaillent pour lui, soit ils couchent avec lui, soit les deux ». Je vous laisse juges de la véracité de la chose, je ne maîtrise pas assez bien le sujet.
Pendant deux ou trois ans, ma grand’mère s’est donc fait un devoir d’aller, à la fin de chaque déjeuner, voir où en étaient les aventures de Cricket, Victor et tous les autres (mais c’étaient ces deux-là ses préférés). Et puis un beau jour, elle a repéré sur le programme télé la diffusion d’Arabesque juste ensuite, et elle s’est dit qu’elle allait jeter un oeil. Vous voyez, les graines de la téléphagie avaient germé !!! Elle fit alors une expérience qui changea sa vie…
Elle n’éteignit pas le poste à la fin du générique des Feux de l’Amour. Et découvrit ainsi qu’en fait, il y avait un générique de début, et un générique de fin. « Voilà pourquoi je trouvais qu’on ne comprenait rien d’un épisode à un autre ! ».
Oh, vous pouvez rire, je ne m’en suis moi-même pas privée !!!
Elle n’était pas du tout rodée, comme nous l’étions instinctivement, aux diverses techniques de narration, aux codes du genre (intro-générique-épisode-générique), etc… Mais elle faisait ses expériences, finalement.
(Ceci est un fait avéré, je le jure.)
Ma grand’mère prit donc l’habitude de regarder, quotidiennement, Les Feux de l’Amour, puis Arabesque. Et le soir (parce que ça passait le soir à l’époque), il lui arrivait souvent de regarder Columbo, aussi. Pour quelqu’un qui n’aimait pas la télévision, ça faisait quand même pas mal heures passées chaque semaine devant son poste !
J’étais fière de ma grand’mère. Elle ne regardait que des séries américaines. Pas les meilleures, c’est sûr, mais les dégoûts et les douleurs, ça ne se discute pas. En plus, en vraie téléphage, elle essayait de suivre ce qui se passait, les nouveautés qui débarquaient, les séries populaires (elle y tenait, à son Télé 7 Jours ! presqu’autant que moi à mon Télé Z !), et regardait, par curiosité.
Parmi ses tentatives d’élargir son horizon télévisuel, elle avait notamment trouvé Sex & the City trop vulgaire. Et franchement, combien de grand’mères de plus de 65 ans regardent Sex & the City de leur propre initiative, sans que leurs petits-enfants ou enfants ne les y encouragent ? Je n’aurais même pas pensé à lui proposer de regarder ! J’avais raison, quelque part : ça ne lui a pas plu. Mais elle a essayé, et c’est ça qui compte, pas vrai ? Quand je vous disais que c’était une sacrée bonne femme, ma grand’mère !
Et puis, sa télé a lâché, et elle n’a pas voulu faire l’effort d’en racheter. « J’ai vécu des années sans télé », disait-elle, « je n’en ai pas vraiment besoin ».
Ouais, c’est en cela que nous différions.
Quelques années plus tard, je suis venue m’installer avec elle pour quelques mois. J’étais déjà une téléphage convaincue, ça faisait d’ailleurs un peu plus d’un an que j’officiais au sein de l’équipe rédactionnelle de SeriesLive, c’est pour vous dire… je ne me contentais plus de ma propre consommation, je voulais aussi contaminer les autres ! Je suis donc arrivée, avec mon propre poste de télé, et avec, je le confesse, l’envie de partager avec elle mes découvertes.
J’ai donc fait quelques expériences avec elle, et si elle n’a pas vraiment accroché sur Charmed ni Oz, en revanche, chaque samedi soir, elle montait me rejoindre et nous regardions New York SVU ensemble.
La première fois, elle a été interloquée par la fin quelque peu abrupte de l’épisode. « Alors il faudra regarder la semaine prochaine pour savoir comment le procès finit ? ». Il m’a fallu faire preuve de pédagogie et lui expliquer que le principe, ce n’était pas de montrer comme ça finit, mais de soulever un problème et de nous laisser réfléchir dessus. Que le père soit jugé coupable ou non, dans le fond, ce n’est pas l’important, ce qui compte c’est pourquoi il a tué ce gamin qui avait brutalisé son propre enfant. Quoi que le jury décide, on peut se demander où commence et où finit la spirale infernale de la violence.
La réponse a paru la convaincre, et nous avons continué à regarder la série ensemble, jusqu’à ce que je déménage.
Je soupçonne aussi qu’elle regardait ça pour me faire plaisir, mais la connaissant, si vraiment elle n’avait pas aimé du tout, elle me l’aurait dit, et m’aurait fait trouver autre chose pour que nous passions du temps ensemble.
C’était l’une des facettes de ma grand’mère. Celle qui en tous cas, concerne un peu ce blog. Ma grand’mère pouvait regarder des soaps l’après-midi, et regarder la Nuit du Ramadan sur France 2 le soir, elle était comme ça. Curieuse de tout, jamais d’a priori. Elle essayait au moins une fois. Elle posait ses yeux gris sur l’écran avec un regard acéré, et se faisait son opinion, sans se laisser influencer. Elle essayait de s’ouvrir à ce qui pouvait se passer.
Je n’ai pas ses yeux gris, mais je crois que j’ai hérité du regard. Vous ne trouvez pas ?
Joyeux anniversaire, mémé.
Vous n’avez pas comme une grosse envie d’appeler la vôtre, là, maintenant ?
Je pense qu’on pourrait dire que ma grand-mère aussi était téléphage. Comme toutes les grand-mères, elle regardait aussi Les feux de l’amour (mais ça a fini par la gonfler alors elle a arrêté – je pense aussi que elle était un peu vexée quand sa soeur qui habite aux Etats-Unis lui racontait les 10 saisons d’avance qu’elle avait sur elle…) et je me souviens que quand j’étais petite et que je passais l’après-midi chez elle, on regardait tous les mangas de la 5 et des séries comme le Cosby Show, Madame est servie, enfin ce qui passait à l’époque… Plus tard ma grand-mère s’est mise à Urgences, Law and Order, et aux séries policières anglaises du dimanche soir sur France 3 (oui ben personne n’est parfait, hein?). Enfin voilà, ma grand-mère aussi avait un oeil critique dont j’espère avoir hérité et j’aimerais plus que tout pouvoir lui faire découvrir de nouvelles choses et partager des moments téléphagiques avec elle. Désolée pour ce commentaire un peu larmoyant (j’ai su dès les premières lignes de ton post que j’allais pleurer… silly me!), elle est partie l’année dernière et elle me manque beaucoup… Joyeux anniversaire à toutes les grand-mères téléphages
« Arabesque », c’est très bien, de toute façon. Jessica Fletcher vaut tous les Grissom du monde, na !
*court appeler sa mamie, tiens, pour la peine*
Tout à fait d’accord avec Scarlatine sur Arabesque… On en fait plus des comme ça des enquêtrices ! Et c’est ben dommage !
D’ailleurs, on s’aperçoit finalement qu’il ne faut jamais sous-estimer les grands-mères. Tiens, cet été, hop, j’ai découvert que la mienne suivait Urgences (hein ? Quoi ? Mais depuis quand ?)… Elle adore tout ce qui est policier (bon, là encore, personne n’est parfait, FBI, Experts et compagnie)… Alors qu’elle regardait Derrick avant (mais bon, au bout de 20 ans, ça lasse, forcément). En général, faut qu’ça bouge (rien à voir avec la chanson d’une rousse)…