Il y a quelques années (j’étais alors une téléphage bien moins raisonnable qu’aujourd’hui), je passais une à deux heures, chaque semaine, à éplucher mon cher Télé Z, et à surligner les programmes que j’allais regarder (chose que j’ai déjà évoquée, je pense). C’est en tous cas ce qui m’a permis, à l’époque, d’éviter l’odieuse frustration de louper les pilotes des nouvelles séries, frustration ô combien démultipliée par ma condition de pilotovore. Ainsi ai-je pu découvrir Une Maman Formidable dés le début, lors de sa diffusion sur France 3 en semaine vers 11h. Et s’il manque les 20 premières secondes du pilote sur ma VHS, c’est uniquement parce que mon magnétoscope de l’époque souffrait de surmenage.
Je suis tombée sous le charme de cette série dans l’instant, dés que Grace a comparé son ex-mari Jimmy à un singe, à un bébé, à Hitler puis au Diable, tout cela simplement en montrant une photo de mariage sur laquelle elle changeait la tête de Jimmy. C’était ça, la scène d’ouverture d’Une Maman Formidable, et c’est comme ça que j’ai compris comment les traducteurs en étaient arrivés à l’idée de ce titre pour la VF (pour « vraiment formidable », évidemment !).
En matière de sitcoms, comme vous le savez peut-être, j’ai tendance à être bon public sur le moment, mais à oublier très vite ce que j’ai vu ensuite. Pour qu’un sitcom me marque durablement, il faut vraiment que quelque chose se très spécial s’en dégage. C’était le cas ici.
Grace Kelly (oui, comme Grace Kelly, mais sans les Oscars et dans un palais beaucoup plus petit) n’est pas juste drôle : elle est grinçante. Son humour noir, qu’elle assène en pince-sans-rire, fait mal en même temps qu’il fait rire. C’est vrai qu’en tant qu’ex-alcoolique, ex-femme battue, mère divorcée de trois enfants et désormais ouvrière dans une raffinerie, elle n’a pas eu que des raisons de rigoler dans la vie ; et les cadeaux qu’elle n’a pas reçus, elle ne nous les fera pas non plus. Aucun sujet n’est trop sérieux pour Grace, il n’y a aucun tabou : toute vérité est bonne à dire, pourvu d’y mettre les formes et de le dire avec le mot pour rire.
Heureusement, pour que le spectateur ne soit pas pris d’une violente pulsion de suicide, un personnage rétablit l’équilibre : il s’agit de Nadine, la meilleure amie et voisine. D’une candeur à toute épreuve, toujours indéfectiblement positive, mais jamais complètement à côté de la plaque, Nadine en est à son 4e mariage, mais idéaliste comme une adolescente. Et surtout, elle est d’un soutien sans faille pour Grace, elle et son mari Wade aidant souvent à garder les enfants lorsque nécessaire. Nadine et Grace fonctionnent comme un couple bien huilé, l’une compensant les travers de l’autre. Le binôme fonctionne à la perfection et donne lieu à des dialogues savoureux. Evidemment, Grace a le plus beau rôle, la série porte quand même son nom, après tout (du moins dans la VO : Grace Under Fire), mais l’une sans l’autre, elles n’offrent que des scènes sympas, quand leurs scènes ensemble sont réellement drôles, fines, et souvent touchantes de vérité à la fois.
Contrairement à beaucoup de sitcoms en milieu familial, il ne s’agit pas ici de mariner dans les bons sentiments. Si Grace doit effectivement élever ses trois enfants seuls (Quentin, Libby, et le bébé Patrick), la série ne s’attache pas particulièrement à montrer combien Grace est une bonne mère. La série joue au contraire à fond la carte de la famille dysfonctionnelle, et évite le piège de la pédagogie gentillette (« tu dois faire ci parce que »/ »tu ne dois pas faire ça parce que ») arrosée de quelques gags, comme on en trouve tant (je pense au très pénible Ma Famille d’abord, ou au simpliste La Guerre à la Maison, par exemple), non il s’agit ici plutôt de montrer comment Grace affronte la situation avec son regard tout particulier. Quitte à parfois ne pas donner une éducation conventionnelle aux enfants… Ainsi n’hésitera-t-elle pas à dire ouvertement à ses enfants quand ils lui tapent sur les nerfs, ou bien emploie-t-elle des méthodes toutes personnelles pour les discipliner et éviter qu’ils ne fassent les mêmes erreurs qui l’ont conduite à mal tourner à un moment de sa vie.
Il y a par exemple un épisode où Libby (d’habitude un adorable petit angelot toujours sage) se pique de voler une gourmandise dans la pharmacie de Russell, et où Grace lui fait la leçon sans passer par les poncifs moralisateurs du genre.
– Elisabeth, j’ai trouvé ça dans la poche de ta chemise, aujourd’hui.
– Je te jure que j’ai rien fait de mal.
– Oh. [Grace hausse les épaules puis sort de la chambre, pour revenir avec un calepin] Libby, tu me déçois beaucoup tu sais.
– Oh Maman, je suis toujours gentille ! Quentin, il…
– Ah, je t’interdis de mêler ton frère à cette histoire ! Ecoute, il y a longtemps, quand vous étiez tous petits, j’ai écrit un tas de beaux discours sur les bêtises que les enfants font des fois, comme ça, quand vous les feriez, je n’aurais qu’à lire dans le calepin et être la plus cool des mamans, d’accord ?
– D’accord !
– Allez, c’est parti… « Si jamais tu oses !!! » ah non ça c’est pour le meurtrer, attends… Voyons-voir : V-Viol-Violence… ça y est on va y arriver, voilà : VOL A L’ETALAGE. Ahem. « Je ne vais pas crier ni hurler, comme ma mère l’a fait pour moi. Je comprends pourquoi tu as volé, tu testais tes limites, chérie, tu t’es dit que ce serait excitant de voir si tu réussissais sans te faire piquer. Mais de voler c’est vilain ! C’est vilain, parce que… » Oh, Libby… c’est archinul ! En vérité je suis très fière que tu aies volé !
– C’est vrai ?!
– Oui, tu sais, chaque fois que je vais dans sa pharmacie, je dépense 15 ou même 20$, et ce que tu as piqué aujourd’hui ça coûte 50c, j’ai économisé un peu d’argent grâce à toi, merci !
– Bah… de rien, maman !
– Tu sais ce que tu as fait de mal ?
– Je pensais le savoir…
– Je vais te le dire : tu as visé trop petit ! Alors la prochaine fois, je te donnerai une liste, et j’irai discuter avec Russell pour le distraire pendant que toi, tu rempliras tes poches avec tout ce que tu voudras ! Et comme ça, maman sera très heureuse et fera des économies !
– Mais si je me fais coincer ?
– Ah, on lui dira que c’était une blague, c’est tout ! Bien-sûr ça ne marchera pas longtemps, parce qu’on volera dans toute la ville…
– Ah bon ?
– Oui ! On commencera doucement… genre vêtements, nourriture, et puis on passera à la vitesse supérieure : les stéréos, les voitures, on deviendra très célèbres, on vivra à 100 à l’heure, on passera à l’émission des grands criminels !!! Qui est-ce qui pourrait jouer ton rôle ?
– Je veux pas aller à l’émission des criminels et qu’on joue mon rôle !
– C’est vrai ? Qu’est-ce que j’aurais aimé que Julia Roberts joue mon rôle…
– Non, maman ! Je veux plus voler quoi que ce soit, ne me force plus à voler, je t’en supplie maman !
– Oh zut, et moi qui comptais sur toutes ces provisions à l’oeil…
– Mais c’est maaaaal !
– Aaaaah voui ? …Oh mais il faut que je te punisse alors, privée de télé pendant un mois !
– Eh !!! Tu m’as roulée, maman !
[Grace recommence à lire son calepin]
– « Tu me remercieras plus tard. »
En fait, Grace croit avant tout à l’apprentissage par l’expérience. Elle-même multiplie les expériences au long de la série, cherchant à la fois à progresser dans sa vie professionnelle, mais aussi à s’épanouir intellectuellement, ou encore à rencontrer des hommes avec qui elle pourrait envisager de refaire sa vie.
Sur ce point, il est d’ailleurs sympathique de noter que Grace, en bonne fille du Sud (« Nadine, chez moi en Alabama, il n’y a pas beaucoup de filles de 16 ans qu’on n’a… qu’on n’a pas embrassées », glisse-t-elle dés le pilote d’un air entendu et à mots couverts devant Patrick), n’a pas froid aux yeux, et va de rencontre en rencontre sans s’effaroucher, parfois les choses durent, parfois non, et elle ne s’en formalise pas outre mesure. Ce qui lui vaudra plus tard dans la série, lorsqu’elle s’installera à demeure, des réactions courroucées de la part de sa belle-mère, Jean :
Jean – Le sexe sans le mariage va à l’encontre de Dieu, et des hommes !!!
Grace – …Ou de ceux qui en sont privés.
Ce personnage très libre, à l’humour très fin et, en dépit de son extraction très modeste, très cultivé, est un véritable bonheur. D’autant qu’elle ne se prend pas un instant au sérieux et n’hésite pas à porter sur son histoire ou sa condition un regard plein d’autodérision…
Et c’est justement ça qui m’inspire dans Une Maman Formidable : que la route soit longue et cahotante, parfois même douloureuse (comme Grace qui a eu un premier enfant quand elle était adolescente, qu’elle a fait adopter, et qui le voit réapparaitre dans sa vie), mais qu’on l’aborde en remontant à la fois les manches et les commissures des lèvres.
Comble du bonheur, j’ai appris récemment que la première saison sortirait en DVD zone 1 à l’automne ! Je vais ptet finir par le trouver, ce générique !
Très drôle, la scène entre Grace et sa fille ^^
« C’est vrai qu’en tant qu’ex-alcoolique, ex-femme battue, mère divorcée de trois enfants »
Pourquoi ne suis-je plus guère étonné de voir que tu aimes ?
Sinon, effectivement, la scène avec le coup de la « leçon de morale » est excellente (et encore une série totalement inconnue… Décidément, toute une culture sériephile à me refaire… )