Vendredi en quittant la gare, je n’étais pas démoralisée. J’étais presque motivée, même ! Bon, on peut éventuellement décider de mettre ça sur le compte de l’adrénaline dégagée par les efforts pour arriver au train à l’heure… mais l’essentiel c’est que j’étais pas complètement déconfite, quand même.
J’ai tourné le dos en me disant ce n’est que pour six mois, dans six mois de nouveaux choix seront à faire, je n’ai qu’à trouver un boulot pour que ces choix soient plus simples. Voilà, je me donne six mois pour trouver un poste stable, pour pouvoir prendre mon propre appartement et tout et tout ! C’est clair en fait : il est temps que j’arrête de faire ce qu’il faut faire, et que je recommence à faire ce que je veux faire ! » Le simple fait que je sois capable de penser ça est déjà surprenant en soi tant, je suis devenue pessimiste sur ce genre de questions avec le temps. Mais admettons. Parce qu’après tout, depuis plusieurs mois, c’est en train de germer en moi : je veux une vie normale ! Je veux avoir un salaire tous les mois, je veux avoir mon propre chez moi (ou un chez nous, même), je veux acheter un bon petit plat quand j’ai envie de manger autre chose que des patates, je veux tout ça et même pas plus encore. Depuis plusieurs semaines je fais le calcul de ce qui compose ma vie rêvée et je m’aperçois que j’ai déjà vachement revu mes critères à la baisse en quelques années, alors merde, maintenant c’est le moment !!!
Il a suffit d’une heure de trajet pour revenir, et les forces m’avaient alors quittée. J’ai mis tout le week end à chercher ma motivation (et elle n’était pas sous la couette, croyez-moi j’ai cherché !). Ce week end de profond glandage ne m’a bien-sûr pas remise sur les rails, ce serait même plutôt l’inverse, car comme chacun sait, la glandouille appelle la glandouille. Voir l’appartement vide, silencieux et froid, croyez-moi, ça m’a ôté toute combativité.
Et du coup en ce lundi matin, en allant au boulot, j’étais sur un mode beaucoup plus réservé : De toutes façons, si lui a un CDI là-bas dans six mois, c’est mort pour que se réinstalle ensemble, en admettant que ce soit toujours à l’ordre du jour. » Beaaaaaaaucoup plus réservé, comme je vous le disais.
A quel moment ai-je décidé que mes projets à long terme n’avaient plus de légitimité ? En fait ça fait des années que je n’ai plus de projet, voilà le drame. J’en suis au point où je regarde la nécessité et strictement elle. Je n’arrive plus à imaginer que mes projets soient réalisables, alors je ne m’y accroche même plus… Je crois que c’est ça qu’on appelle le découragement. Finalement moi aussi je me suis laissée avoir, je suis tombée dedans, c’est exactement ce que je voulais éviter il y a quelques années lorsque je me répétais qu’il n’y a pas de raison pour être aussi déçue de la vie que mes parents, aussi amère qu’eux de ce que j’aurais pu faire et vivre… eh bien finalement j’en suis arrivée là, moi aussi. Mes projets, je les traite comme des utopies, des châteaux en Espagne, je ne leur donne plus aucun crédit et j’ai pris le réflexe de me dire que ce que je voulais importait peu, seul comptait ce que je devais faire. Mais c’est exactement avec ce type de réaction que je m’enferme dans une vision à court terme, c’est un vrai cercle vicieux ! Je voulais continuer à vivre avec mon homme mais au lieu de ça, j’ai cédé à la loi de la nécessité : puisqu’il le faut… « Puisqu’il doit partir et que je ne peux que rester, alors à quoi bon ? » Et c’est vrai que d’un strict point de vue rationnel, il est hors de question que je parte à l’aventure à plusieurs centaines de kilomètres de chez moi, sans être certaine de ce qui m’y attend (fool me once, blame on you, fool me twice, blame on me !), il est hors de question que je me lance dans un déménagement vers l’inconnu, il est hors de question que je retourne en Province alors que dans 6 mois il faudrait peut-être tout réenvisager à Paris. Ce n’est même pas discutable, c’est le comportement le plus raisonnable au vu de la situation…
Quand je suis dans cet état d’esprit, quand je rends les armes devant la force de la nécessité au nom du bon sens, je sais que je suis capable de tout, même de me détacher de lui à cause de la nécessité… c’est grave quand même. Me dire que le plus simple, entre me mettre en danger et le quitter, c’est encore de le quitter, c’est grave. Mettre ma vie entre parenthèses par peur de ne pas pouvoir survivre, c’est perdre la liberté de choisir pour moi…
Est-ce que je fais encore des choix pour ma propre vie ? Je n’en suis plus très sûre. J’ai laissé les impératifs prendre le contrôle. En même temps, il faut bien faire ce qui est nécessaire, surtout lorsqu’on n’est pas à l’aise financièrement. Mes finances ne me donnent pas beaucup de choix… Mais sur le reste ? Ai-je baissé les bras ? Et au juste, qu’est-ce qu’il reste de choix lorsque les finances contrôlent des aspects inattendus de la vie ? Lorsque les problèmes d’argent changent la donne d’une relation amoureuse, la compliquent, la placent sur le chemin d’une voie sans issue, que reste-t-il ? Dans ces conditions, n’est-il pas justifié de faire passer la nécessité, la rationnalité, avant tout le reste ?
Quand je vois mon état d’esprit de ce week end, je ne doute pas un seul instant de la dose de découragement qui s’est insinuée en moi avec les années, et qui se cache derrière le moindre de mes actes. Je me rends compte que chaque déception, chaque impossibilité, chaque sueur froide, accumulées, m’ont retiré pas mal de forces vitales. Je n’arrive plus à m’imaginer vivre, j’en suis juste à survivre. J’aimerais mieux vivre évidemment, et depuis plusieurs mois je ne rêve que de ça, mais tout me semble tellement compliqué dés lors que c’est concret… « Avant de faire des plans pour dans six mois, je devrais certainement m’inquiéter du mois prochain » : voilà ce que je me dis irrémédiablement.
Je reporte l’avenir indéfiniment.