Dommage collatéral

10 juin 2007 à 10:26

 Sur le papier, Traveler semblait assez classique : deux étudiants sont pris en chasse par le FBI pour un attentat dont ils ne sont pas responsables, mais dans lequel leur meilleur ami les a impliqués avant de passer de vie à trépas. Vous connaissez certainement autant de références que moi sur le thème du présumé coupable jusqu’à preuve du contraire qui s’enfuit tout en essayant d’établir son innocence, alors je vous épargne la liste de lecture ! M’enfin, que ça ne vous empêche pas de vous cultivationner un peu, hein ?!

Pourtant à bien des égards, c’est très osé, dans une Amérique encore traumatisée par le 11 septembre (oui je vais ressortir le couplet sur les traumatismes du 11 septembre !), de traiter de terrorisme, et détail morbide, de terrorisme à New York. Et dans le traitement de ce thème, Traveler s’aventure là où pas un de ses nombreux prédecesseurs sur le sujet ne s’était risqué, en affirmant comme postulat de base, que le terrorisme fait d’autres victimes que celles auxquelles on érige des stelles : ceux qui en sont accusés à tort, et qui subissent le climat de peur ainsi que la paranoïa qui de nos jours, fait irrémédiablement suite aux évènements graves. Jay et Tyler sont, à ma connaissance, les premières victimes télévisées avérées du dommage collatéral exercé par le terrorisme.

Jusqu’ici, les terroristes, bouh c’était pas bien, et le FBI, c’étaient les gentils.
Ca c’était avant. Dans Traveler, ya pas de méchant. Bon alors disons plutôt : pas encore. Enfin si, d’accord, il y en a un dont on est plutôt sûrs qu’il soit pas un gentil, mais il est cramé, comme ça c’est réglé. Alors qui est-ce qui reste ? Chacun est intimement convaincu d’être dans son bon droit.
Et en fait techniquement, tout le monde l’est. Peut-on reprocher à Tyler de chercher à parlementer avec le FBI en espérant dénouer le problème ? Peut-on blâmer Jay de penser immédiatement à la fuite ? Peut-on en vouloir aux gars du FBI de chercher à être efficaces ? Peut-on même leur en vouloir de faire du zèle lorsqu’il s’agit de brutalité vis-à-vis de terroristes ? Peut-on imaginer que le père de Jay ne fasse pas son possible pour que son fils s’en sorte ? Mais non, rien de tout cela. Chacun des protagonistes de notre affaire a sa conscience pour lui, en fin de compte.

Il n’est pas rare qu’un téléphage, surtout ces dernières années, soit heurté par la tournure manichéenne que prennent vite les séries se frottant de près ou de loin à pareils thèmes, à plus forte raison lorsqu’elles sont américaines (et en la matière, elles le sont toujours de toutes façons, vu qu’en France, on n’a encore rien compris à l’intérêt de la fiction). La seule qui à ma connaissance s’en soit tirée dignement, c’était A la Maison Blanche dans leur épisode spécial 11 septembre, mais ce n’était jamais qu’un seul épisode et puis bon, c’était assez rhétorique. Le reste du temps, sitôt qu’il s’agit de sécurité nationale, tout est permis, et le télespectateur n’est pas encouragé à prendre du recul et réfléchir à la situation et ce qu’elle implique d’un autre point de vue. Après tout, il faut soutenir le héros, c’est-à-dire, invariablement, celui qui agit au nom des victimes du terrorisme.

Tenez, dans Battlestar Galactica, sous prétexte que c’est la guerre, les têtes pensantes de la flotte des survivants ont un peu tendance à confondre état d’alerte et prise de décision exagérée. Ca ne les dérange pas de torturer, d’exécuter, de manigancer sous couvert de l’intérêt général. Et, l’attachement aux personnages ainsi que la pulsion naturelle qui pousse le télespectateur à espérer que les colons survivent au massacre perpétré par les Cylons, font qu’il est ultra-rare de se lever et dire : « bah merde alors, qu’est-ce qui est pire, déplaire à un Cylon ou à Adama ?! ». L’état d’urgence ? La loi martiale ? Certes nécessité fait loi, mais les droits de chacun devraient réussir à être respectés, et ce n’est pas toujours le cas. Ce qu’on observe dans Battlestar Galactica dans ces cas-là, et sans réelle dénonciation de la part des scénaristes mais plutôt une certaine application à poursuivre dans cette voie et y « encourager » les personnages, c’est qu’en cas de panique, certains verrous sautent et que, la société se sentant en danger, elle se sent autorisée à prendre certaines libertés avec les règles qui la régissent et font d’elle une civilisation évoluée et juste. En cas de panique, tout semble soudain permis, sans restriction, sans faire de quartiers, sans poser de questions, sans se remettre en question. Le coup d’état militaire en saison 2 était même plutôt traité de façon flatteuse, voire normalisante !!!

Alors voir Traveler nous dire, ou en tous cas poser les éléments et amorcer un discours allant dans le sens de montrer que la chasse au terroriste ne terrorise pas que les coupables, c’est osé, et c’est très bien. C’est un peu ce qui manquait dans le panorama télévisuel : une série pour dire aussi que la peur ne simplifie pas les problèmes, elle en crée injustement à ceux qui n’ont normalement rien à se reprocher, et elle ne fait que rassurer illusoirement ceux qui ne tombent pas sous les coups durs aléatoires qu’elle provoque quand un évènement se produit.

En plus d’avoir un énorme autre inconvénient. Parce que, pendant que Jay et Tyler s’enfuient, mobilisant tous les efforts des cellules anti-terroristes, eh bien le vrai poseur de bombe, lui, on n’est pas sur son dos. Qui a monté cette machination, puisqu’apparemment des personnes haut placées sont dans le coup ? Eh bien personne au FBI n’a le temps de se poser la question puisque les étudiants ont été décrétés coupables ! Et c’est aussi ça que se dit le télespectateur pendant ce temps, que tous ces efforts, cette diplomatie, cette efficacité de la part du FBI pour arriver à mettre la main sur nos deux fugitifs, c’est bien, mais ce n’est pas le coupable qu’on pourchasse comme une bête, et que la lutte contre le terrorisme, elle se tire dans le pied !

Evidemment, Traveler fait aussi la part belle à l’action, avec des courses-poursuites (ce qui est plutôt logique pour des fugitifs) dans les rues de New York (avec quelques plans urbains très sympathiques), quelques flashbacks dont ce n’est forcément que le début, un peu de théorie du complot et ce qu’il faut de mystère et de suspense (combien de fois on vous a dit de ne pas faire confiance à William Sadler, c’est un monde ça, il a toujours été hautement antipathique pourtant, ça ne met la puce à l’oreille de personne de voir le sheriff Valenti simplifier la vie de son petit monde ?)… Bref, Traveler n’est pas à proprement parler une série sur le terrorisme, elle ne propose pas de mise en garde, elle ne traite pas du sujet de façon abstraite ou militante, elle ne donne pas de leçons. Mais son plot est, à la base, conçu sur le mode de la contradiction en ce qui concerne nos certitudes habituelles sur la place de la justice dans un monde où le terrorisme fait parler de lui chaque jour. Non, la lutte contre le terrorisme ne justifie pas tout, et si son but est nécessairement louable (quel pays veut que ses musées explosent à tous bouts de champs ?) ses moyens sont eux souvent contestables.

Traveler est certainement de ces séries dont l’intérêt mythologique est moindre (qui tire les ficelles, l’homme à la cigarette ???) et dont les rebondissements, bien que pour le moment limités à une poignée d’épisodes, ne sont pas exactement novateurs (un inconnu aide nos fugitifs mais ne leur explique rien… Mr.X où êtes-vous ?) mais qui sur le fond, a au moins cet avantage de ne pas avoir cédé… à la terreur. Et pour une série traitant aussi de terrorisme, c’est quand même pas trop tôt.

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