D’accord, des guily pleasures où les larmes sont bradées et les rires sont bon marché, j’en ai des tas dans mes réserves, et j’en ai déjà abordés quelques uns ici, mais je n’avais pas encore osé lever le voile sur une de mes pêchés mignons : 7 à la Maison.
Pour ceux qui ne savent pas, 7 à la Maison est l’histoire de deux américains très moyens sûrs de leurs valeurs inébranlables ou presque, et qui décident d’élever un cheptel d’enfants très politiquement corrects qui assureront la survie de concepts aussi ineptes qu’archaïques. Ils commencent la série avec 5 enfants, mais comme les acteurs qui jouent les gosses, et qui grandissent, hélas, en ont vite marre de se faire bourrer le mou par leurs aînés, nos deux éleveurs conçoivent une nouvelle portée amenée à permettre aux mêmes intrigues de se reproduire avec quelques saisons d’intervalle. Le public de cette série-là ayant très peu de mémoire, ou la bonne grâce de faire semblant. Comme moi !
Bref, 7 à la Maison, c’est un peu une photographie d’un monde qui vit hors du monde mais qui essaye vraiment de faire ce qu’il peut pour croire, mais croire très fort, que vraiment, ils comprennent les problèmes de ce même monde, et qu’il y a de fortes chances pour que leur solution permette à chacun d’y vivre mieux. Alors que, répétons-le, ils ne connaissent pas le monde tel qu’il est, car le leur est infiniment aspetisé, et naturellement, stéréotypé à l’extrême. Parfois on se demande même si les scénaristes (un bien grand mot vu la teneur de certains épisodes, ne parlons même pas de bon nombre de dialogues) ne sont pas en train de se moquer de nous. Il m’est arrivé plusieurs fois de me dire « la vision à long terme de 7 à la Maison, c’est de démontrer que ces valeurs-là, elles ne tiennent pas dans la réalité telle qu’elle est, et au final ils vont céder ». Mais force est de constater qu’avec les années, 7 à la Maison a tenu bon et n’a pas renié ses beaux principes, s’attachant, encore et toujours, à nous dire qu’avec une bonne dose de foi et en demandant conseil au révérend Camden, tout peut toujours s’arranger au plus près du politiquement correct.
Sauf que non.
Je n’avais pas regardé la série depuis quelques saisons, mais il y a trois semaines, je suis tombée sur la diffusion de TF1 qui, si j’en crois SeriesLive, est la saison 10. Que je regarde encore de temps à autres, parce que ça faisait un bail (je ne m’apesantirai pas sur les raisons qui font qu’une personne ayant tout de même un peu d’estime pour elle-même finisse par regarder assidûment les saisons 1 à 5 de cette série, ce serait revenir sur des années de thérapie qui m’ont permis d’occulter ce lourd passage de ma vie), et que quelque chose a attiré mon attention lorsque j’y ai glissé un oeil amusé il y a donc trois semaines environ.
Dans cet épisode, Ruthie était confrontée à une dure réalité (normal, c’est la structure régulière de cette série) : l’une de ses camarades ne mangeait pas à sa faim. Je vous épargne la scène en plan-séquence où plusieurs élèves du lycée de Ruthie expliquent sur un ton presque documentaire qu’eux non plus n’ont pas à manger et les conséquences que cela a sur leur vie d’ado (c’est dans ces cas-là qu’on regrette de n’avoir pas préparé de pop corn), je passe directement à la scène finale, que dis-je, le feu d’artifice final, où Ruthie, 16 ans et toujours le rôle de la gamine qui sait rien de la vie (rappelons quand même qu’à une époque elle allait dans une classe pour enfants très doués, mais bon, infantiliser c’est toujours de bon ton dans ce genre de séries bien-pensantes), demande à son père avec ses yeux de cockers (mais comme elle a 16 ans, c’est un cocker maquillé comme une voiture volée) : mais comment se fait-il qu’il y ait tant de gens qui aient faim alors que nous vivons dans un pays si riche ? Son révérend de père de lui expliquer : eh bien, oui, mais le monde est mal fait, ce n’est pas simple. Ruthie récidive : mais comment aider tous ces gens ? Papa révérend rétorque : eh bien, c’est difficile de les aider, tu comprends, parce qu’ils ont honte et qu’ils ne veulent pas que ça se sache et donc ils ne veulent pas qu’on les aide, alors tout ce qu’on peut faire c’est prier pour eux et espérer qu’un jour les choses soient plus faciles… (j’ai évité les guillemets car évidemment je ne me suis pas encombrée le cerveau avec les vraies répliques). Bref, frappée de stupeur, j’essaye d’assimiler ce que papa Camden vient d’expliquer à Ruthie : que les gens pauvres ne veulent pas qu’on les aide (bon alors je veux bien que l’assistanat aux States et en France ne soit pas du tout vu de la même façon m’enfin, ne pas vouloir être aidé, c’est pas pareil que d’avoir honte !), et que tout ce qu’on peut faire pour eux, tenez-vous bien, c’est prier ! Rien d’autre ! Peut-être un jour mais là, non, on reste tranquillement à la maison et on attend que les choses changent ! Je ne sais pas moi, que la faim dans le monde, ça n’existe plus. Voilà, c’est tout. C’est simple en définitive !
J’étais sciée. Le révérend Camden venait de déclarer forfait. Trop d’années dans son bureau mal éclairé avaient eu raison de son éternelle bonne volonté, sa croyance qu’on (enfin, surtout lui) peut toujours faire le bien, améliorer la vie des gens… C’était quand même pour cette même dose culottée d’espoir inébranlable que je regardais cette série ! Mais là non, le révérend Camden a rendu les armes. Mais bon, la journée avait été dure (vous avez peut-être remarqué que ces derniers temps, il ne se passe pas un épisode sans que la journée n’ait été dure ? Il vieillit ce pauvre homme) alors admettons.
Hier, je me cale les fesses devant un autre épisode, dans l’espoir de recevoir ma dose de pensées exagérément positives du jour. Hélas, encore une fois, chou blanc. Au menu du jour, un mari épouvantablement volage, un lycéen bientôt père indigne, et un enfant illégitime au bord du suicide.
Procédons par ordre : le mari épouvantablement volage, c’est le mari de Lucy (ne m’obligez pas à retenir aussi lesp rénoms des pièces rapportées), ex-flic devenu père au foyer après s’être traumatisé lui-même en se servant de son arme. Le gentil pôpa va aux réunions de mamans pendant que sa belle travaille à l’eglise avec son père (elle ambitionne en effet de devenir révérend elle aussi… c’est bizarre, papa Camden n’est jamais à l’eglise, il fait en moyenne deux offices par saison, ya déjà à peine du oublot pour un alors pour deux… mais admettons). Bien-sûr Lucy culpabilise comme une folle de ne pas passer plus de temps avec son bout de chou de fille (après tout sa propre mère à elle n’a jamais rien eu d’autre dans sa vie que ses gosses… je n’ai aucun souvenir qu’on lui ait expliqué un jour ou l’autre qu’il existait une alternative et qu’on pouvait être une bonne mère ET travailler). Et comme elle a un caractère de cochon, hypra-jaloux, depuis toujours, elle préfèrerait aussi ne pas être par monts et par vaux toute la journée et garder un oeil sur son mari. Mari qui, eh, c’est un Camden par alliance, aime bien aider son prochain, et là il a eu pitié d’une mère célibataire et donc ils promènent leurs enfants ensemble, et il lui prodigue quelques conseils parce que, bah, elle, elle travaille, donc elle ne sait pas s’y prendre avec son propre gosse. Mais Lucy est bien-entendu furibarde après son mari parce qu’il voit une femme célibataire, et qu’appremment, il compte remettre ça. Furieux, le mari claque la porte (à la Camden) et s’en va demander conseil chez beau-papa révérend, comme tout le monde en cas de panne de cerveau. Et alors là, ya même pas débat : en une phrase, le révérend résoud son problème : tu vas t’excuser auprès de ta femme. Ah bon mais révérend, ai-je envie de dire, qu’en est-il du respect de la vie de chaque époux ? Ces épisodes où vous encouragiez votre propre femme à reprendre ses études et voir du monde en dépit de votre propre jalousie car vous voyiez bien que sans ça elle allait péter un câble ? Non ? Pas un mot à ce sujet ? Ah, bon.
Deuxième étape, l’adolescent qui va être papa. J’ai certainement loupé toutes les étapes pendant lesquelles il a reçu la leçon sur « pas de sexe avant le mariage » (dommage parce que ce running gag là est vraiment leur meilleur), pour en arriver directement au moment où il ne veut rien avoir à faire avec la maman ni le futur-bébé, et où, côté Camden, personne ne lui fait la leçon, en fait la seule qu’il aura viendra de son propre père qui lui dit juste de se comporter comme un homme et faire un choix, ce à quoi l’adolescent en chaleur répond à son père qu’il a été élevé par sa mère et qu’en fait de lui faire la leçon sur être père, son interlocuteur peut toujours parler. Après quoi le pater en question déclare forfait et se tire chez les Camden, panne sèche de matière grise j’imagine. Révérend Camden père et fille s’escriment, en parallèle, à avoir un entretien avec les parents de la future-maman (faut suivre), mais en quelques répliques cinglantes, ils font savoir qu’ils ne veulent rien avoir à faire avec leur fille, ni l’éventuel rejeton de cette dernière. Et que quand il naîtra, pas la peine de les déranger, ils s’en foutent. Papa et fifille Camden laissent faire. Mais enfin quoi ? Pas de réplique sur « vous allez passer à côté de votre propre petit-fils » ? Pas une phrase pour marquer l’importance fondamentale de la famille dans la vie ? Pas même une tentative, même ratée…? Rien ? Ah, bon.
Troisème étape, le summum de la démission. Le révérend Camden apprend qu’il a été conçu hors-mariage. Ce qui lui fout sa journée en l’air, et on le comprend, apprendre ça à 50 ans et de poussières, c’est rude, surtout quand on croît fermement à la chasteté jusqu’au mariage et qu’on s’est crevé ces 10 dernières années/saisons à faire appliquer ce principe à la lettre à sa progéniture (avec un succès plutôt relatif pour certains…). Mais plutôt que de mettre cette expérience au service des intrigues qui l’entourent (sans même parler de remettre en question ses convictions, faut pas rêver), tout au plus aura-t-on droit à une légère petite phrase sur la fin, à notre pauvre adolescent après tout, ya des tas de gens de par le monde qui ont des enfants sans sem arier, et ils ont l’air de ne pas s’en sortir si mal que ça, et ça donne des gens pas si mauvais. Quoi ? C’est tout ? Pas de prêche dans le sens du mariage malgré tout, pas une petite pichenette en direction du bon ordre moral, du bien-être de l’enfant, rien ? Ah, bon.
Mais alors, c’est bien ça, tout concorde. Le révérend Camden a laissé tomber. Ce n’est pas la série qui s’est tirée du politiquement correct, c’est juste le révérend Camden qui se rend. Ce type était de tous les combats ! Ce gars était là pour remettre toute sa marmaille et celle des voisins dans le droit chemin ! Et là quoi ? Et là plus rien. Il n’a plus de jus le pauvre révérend Camden.
Le monde a gagné. Et c’est finalement une victoire bien amère…