Ca fait plusieurs jours que je suis obsédée par la note (au demeurant formidable) de Double P. Il a fallu du temps avant que je ne me rappelle les choses que je pensais pourtant avoir intégrées depuis longtemps.
A la première lecture, j’ai eu un goût amer dans la bouche, le coeur serré, et une horrible impression de déjà vu. Et en même temps que cette impression de malaise, je me suis demandée : dans le fond, ces scènes que j’ai vécues, qu’avaient-elles de spécial ? Pourquoi m’ont-elles touchées, elles font partie de ce que tous les enfants et les parents expérimentent, voilà tout ! J’allais lire la note deux ou trois fois par jour, et je continuais de me demander. Parce que dans le fond, tout y est : la mère qui sent arriver l’engueulade, consternée mais pas vraiment prête à intervenir, la transformation brutale en loup-garou, les pleurs…
La seule chose qui me gènait, c’était la scène de fin.
Ce n’est que cet après-midi que, lors d’une énième relecture du post, j’ai compris : je n’ai pas toujours eu 5 ans. Et je ne refusais pas forcément de faire ce qu’on m’avait demandé. En fait ça pouvait partir de n’importe quoi, le pain mal disposé sur la table, une note qui ne lui plaisait pas, le simple fait de parler d’éléments de ma journée qui ne l’intéressaient pas… Et contrairement à la scène de fin, dans mon cas, c’est mon père qui venait me faire des excuses ensuite, et en général, pour autant que je me souvienne, ça s’arrêtait là et je ne trouvais pas grand’chose à répondre. Je ne vois pas comment j’aurais eu ce courage. Il y a eu cette fois, par exemple, où il est venu dans ma chambre, où j’étais en train de pleurer dans le noir, et a commencé à me raconter ce qui n’allait pas dans sa vie… il ne cherchait pas à camper sur ses positions dans ces moments-là. Il cherchait juste l’absolution.
La grande différence, c’est qu’il n’y avait aucune logique, aucun sentiment que j’étais punie, c’était juste une sorte de peur, cette chose horrible qui faisait que je ne savais pas ce qui allait tomber, ni quand, ni à cause de quoi. Au lieu de me fixer des limites comme il pensait sans doute le faire, il les effaçait sans cesse.
Comment j’ai pu oublier ?
Comment j’ai eu cette sorte d’insolence envers moi-même de m’identifier à la note de Double P ? Et comment ai-je pu me faire l’affront de m’être à nouveau, comme il y a quelques années, demandé en quoi ce que j’ai vécu a pu n’être pas normal, courant, et complètement anodin ?
Parfois j’ai l’impression d’oublier tout. D’oublier la façon dont ça se passait, d’oublier ma terreur, d’oublier toutes ces scènes, les cris, les pleurs, la fureur, la violence qu’affichait son visage, la violence de ses mots… Et je me demande alors : comment j’ose faire ça ?! Car ce que ça signifie, c’est que j’oublie mes propres leçons.
Je ne m’érige pas en victime, mais je ne veux pas apprendre à minimiser. Je ne veux pas oublier. Je ne veux pas non plus vraiment pardonner. Ce serait trop facile, et ce serait trop dangereux.
Et pourtant je viens de passer plusieurs jours à ne même pas me souvenir de ce qui fait la différence entre une simple engueulade… et ce qui me hante encore parfois.
Et je me déteste pour tout ça.