Je ne parle pas souvent de mes rêves ici. C’est une honte car j’adore mes rêves. J’adore en faire, j’adore y repenser, j’adore essayer de me souvenir de tout ce qui s’y est passé, et j’aime parler de ceux des autres… C’est un des petits plaisirs qu’on se fait à soi-même sans jamais rien préméditer, et ça fait partie du charme.
Alors allons-y !
Cette nuit, il y avait une voix. C’est comme ça que ça a commencé. C’était la voix d’un homme, grave, puissante, légèrement ronronnante et douce. Une diction rythmée. Je vivais dans une maison avec des amis (qui étaient totalement fictifs) et parmi eux il y avait cet homme auquel je n’accordais aucune attention mais qui n’était jamais loin de moi. Mes amis me disaient qu’il en pinçait pour moi, mais ça ne m’intéressait pas et je n’y prêtais pas garde, pensant aussi l’air de rien qu’il n’était pas à mon goût et que ça ne servait à rien de le lui dire juste pour lui faire de la peine.
Il faisait un peu peur, d’ailleurs, finalement, avec son visage long et émacié, son regard sombre (non pas la couleur mais par ce qui en ressortait), sa démarche bancale et ce corps démsurément long qui me suivait partout.
Et puis à un moment, je l’ai regardé. J’étais avec une de ces colocatrices au style excentrique, et j’ai ouvert la porte et il était là, comme d’habitude. Mais cette fois je l’ai regardé, en silence. Et j’ai eu envie d’être avec lui. C’était un sentiment très pur à ressentir, cette envie d’être avec cet homme d’une grande douceur et aux gestes lents, même s’ils étaient imparfaits. En fait tout ce qui m’avait laissée indifférente pendant le début du rêve m’a soudain touchée, comme si j’étais d’un coup, en ouvrant cette porté, été réceptive au fait que l’imperfection de l’homme était exactement ce qui était attirant en lui. Je me suis réveillée à ce moment-là.
Et pendant tout le rêve, ses mots, comme susurrés avec une voix profonde et gutturale, n’avaient cessé de servir de bande sonore avec un rythme lancinant. En me réveillant, j’ai tout de suite pensé : « l’homme, c’était Grand Corps Malade ».
Mais vous et moi savons très bien que je n’ai pas rêvé de Grand Corps Malade, surtout que je n’écoute même pas ce qu’il fait et que je n’ai fait que voir des pubs à la télé. Je n’apprécie même pas plus que ça ce que j’ai entendu de lui. Et même si c’était le cas, on sait tous que je n’ai pas rêvé de Grand Corps Malade, c’était juste un alibi. Les rêves ont besoin d’alibis pour exprimer ce qu’ils ont à dire. Des métaphores, des déguisements… (il y a une très bonne nouvelle de Yasutaka Tsutsui à ce sujet, d’ailleurs)
Le rêve était doux, il était simple, il était ouaté, et on y respirait la même douce tiédeur que celle qui règne dans mes soirées depuis quelques jours.
Je savais bien que j’allais ouvrir la porte. Je ne pensais pas que j’allais apprécier toute cette douceur et je pensais encore moins que j’allais m’y complaire. Je n’avais pas envie de plus que la douceur et en me réveillant je n’ai pas pensé que je voulais absolument y retourner. Mais le temps que le rêve a duré, il était doux, j’avais su ressentir sa tendresse. Et ça suffisait. Cela avait quelque chose d’érotique sans que personne ne s’y touche. C’était simplement délicieux.
Je me demande juste jusqu’à quel point je dois l’interpréter. Mais peut-être que peu importe, puisque c’était un bon rêve.