Me voilà rentrée de cet enterrement. Ai-je pensé à le dire ? C’est réellement une première pour moi. Personne que je connaisse n’est mort jusqu’à ma grand’mère la semaine passée. Le fait de ne pas connaître les deux larges tiers de ma famille a sans doute participé à cela.
J’ai pris le train lundi, avec ma mère, en essayant de penser à autre chose, et aussi avec, à l’esprit, l’impression de ne pas la pleurer réellement. Disons-le tout net : je n’ai pas du tout pleuré ma grand’mère pour le moment. Le fait est que j’y suis allée principalement pour ne pas regretter plus tard de ne pas m’y être rendue. Et pour rencontrer ma famille. Car c’était tout un pan de la famille que je ne connaissais pas et qui devait venir : j’en reparle dans une minute.
Bref, je plaisantais et ma mère était d’ailleurs d’humeur assez joviale (la joie, sans doute, de passer plusieurs heures avec une fille qu’elle n’avait pas vue depuis avril), et même mon père a décroché quelques sourires le soir, à table, une fois que nous l’avons eu rejoint à l’hôtel. Bref, il n’y paraissait pas. C’était d’ailleurs presque agréable de passer du temps en leur compagnie, parce que vu les évènements ils n’étaient pas trop fidèles à eux-mêmes, en fait il faudrait toujours qu’ils soient ainsi, c’est triste à dire.
Je dois dire qu’en fait, en arrivant à Dijon, j’ai quand même eu la gorge nouée. Mais plus pour l’ambiance. Tout le monde se met la pression mutuellement. N’importe qui craquerait dans ce type de situation. C’est fait pour pleurer et si on ne pleure pas la défunte, on trouve autre chose, comme moi qui lundi soir, pressentais que je ne pleurerais pas ma grand’mère mais par pétage de plomb, ça n’a pas tout-à-fait été faux, mais pas tout-à-fait seulement.
Mon père a pris l’initiative d’annoncer à la famille que nous les rejoindrions directement à l’Eglise : il voulait éviter la mise en bière (ça ne peut pas avoir cette orthographe, si ?). En réalité, moi, j’aurais voulu y aller : j’ai réalisé que je n’y croyais pas, et que ce serait le cas jusqu’à avoir une preuve tangible de ce décès. Non que j’aie imaginé que mes parents m’avaient attirée à Dijon pour une quelconque réunion de famille sous un prétexte fallacieux, mais vous savez, je n’ai même pas encore réalisé et l’enterrement est passé, alors imaginez ce que c’était, tenue à l’écart de cette fameuse mise en bière, à 5 ou 6 km de là. Ca m’a posé un réel problème. Mais, quoi, 6 km sous la neige en chaussures de ville… ah oui parce que là-dessus, c’était vraiment beau à filmer : un enterrement sous la neige. Très romanesque, quelque part. Je suis prête à parier que Six Feet Under n’a jamais osé un tel cliché (cette série m’a vachement aidée à comprendre certaines choses, l’air de rien. C’est vrai, tout le monde trouve ça tellement évident que personne ne vous explique rien).
Un fois arrivés à l’Eglise (en avance, très bonne idée papa, il fait -5 dehors), nous voilà à tourner en rond, en évitant soigneusement le sujet, enfin plutôt, arrivés à ce stade, LE sujet, tellement on a l’impression de ne pas parler de l’évident, ce qui préoccupe tout le monde, moi en particulier puisque je ne savais toujours pas comment ça allait se passer, et que j’ai harcelé ma mère de questions tout du long pour éviter les impers, ah merci, vraiment, ce fichu signe de croix s’effectuait DANS L’AUTRE SENS. Comment je suis sensée le savoir au juste ?
Bref, je vais finir par en venir à ce qui me préoccupait vraiment quand j’ai commencé à rédiger cette note !!! Je m’aperçois qu’elle est particulièrement linéaire, tant pis. Faites avec.
Quand enfin on nous a ouvert les portes de l’Eglise, j’étais presque heureuse de m’engouffrer au chaud. Et pourtant vous connaissez, si vous avez lu mes premières notes, mon amour immodéré pour les parvis de ce type d’édifices : je ne vais pour ainsi dire jamais au-delà, d’ordinaire. Je me voyais mal faire des manières en l’occurence, j’ai pris une grande inspiration qui m’a glacé les poumons et ça m’a décidée à enjamber l’entrée vite fait. Des gens ont commencé à arriver, et l’angoisse number one c’était de ne pas reconnaître ceux de la famille, sortis du bois pour l’occasion et que j’aurais pu prendre pour n’importe quels vieillards du coin. Je n’ai apparemment pas fait de trop grosse bêtise, quand je n’étais pas sûre de mon coup je prenais une mine triste, et j’ai vite pigé que ceux de la famille insisteraient alors que pas les autres, c’était un coup à prendre. Ca aurait dû me poser problème de constater ce dysfonctionnement, mais en la circonstance, j’étais en fait complètement détachée de moi-même, absorbée dans l’image que je devais donner auour de moi (on est la famille, il faut avoir l’air triste), impressionnée par la fresque bleutée au fond du bâtiment, intimidée par les vieux aux mains déjà raides et froides qui venaient me demander si j’étais de la famille (je n’étais pas la seule à avoir de grosses lacunes, soulagement relatif). Et puis, angoissée, surtout, par tout ça. C’est déjà une grosse affaire d’entrer dans une Eglise, mais alors sachant que je ne savais rien sur le déroulement des choses, les réactions à attendre des gens (moi y compris), je vous laisse imaginer : je n’en menais pas large. Ah ! On faisait moins la fière !!!
C’est là qu’une foule de gens est entrée. Parmi les ombres se dessinant dans l’encadrure de la porte, j’ai tout de suite repéré mon grand-père, droit, souriant, s’avançant immédiatement vers nous. Le sourire m’a étonnée : je pensais qu’il serait à ramasser à la petite cuiller. C’était le cas de mon cousin, juste derrière, qui lui avait perdu toute contenance. Je me suis demandée pourquoi, vu qu’il n’a jamais montré qu’une attitude dédaigneuse vis-à-vis de mes grands-parents paternels (qui sont, en fait, ses grands-parents maternels, pour ceux que la généalogie captive). Dans la foule qui suivait mon grand-père à la trace, guettant visiblement un effondrement imminent et théâtral (qui n’est jamais venu), une voix a soudain surgi, et je vous jure que bien que ne l’ayant pas entendue depuis juin 1991, je l’ai tout de suite reconnue. Eplorée, un petite femme au grands yeux arrivait vers moi en pleurant (à l’italienne, avec de grands gestes et de grands cris ; en fait c’est bien elle la seule à traduire son héritage génétique par des attitudes et des mots typiques, bien que presque stéréotypés) et a baragouiné, en me serrant très fort « Oh, ma grande fille, ma puce, tu es venue, je suis contente de te voir, on se quitte plus jamais ! »
A votre avis, qui pleurait le plus ?
J’ai passé le reste de la journée à être sollicitée par elle : ma tante, Tata Marie (j’ai eu tant de mal à trouver des occasions de dire ce nom ces 14 dernières années que je me permets de ne pas y aller de mon habitude du pseudo). Celle qui était fâchée depuis toutes ces années avec ma grand’mère, depuis une histoire sordide (ne le sont-elles pas toutes ?), qui était devenue la pestiférée, le mauvais exemple perpétuel, le Diable incarné… c’est bien simple, quand mon père veut se faire comprendre, il me traite d’elle. Mais moi, j’ai en mémoire le souvenir de sa personnalité adorable, et qu’elle ait été la plus gentille de la famille avec moi. Elle m’appelait « ma petite princesse », et c’est ridicule, mais à part me faire appeler « la grande gourde » ou « la grande duduche » (c’est ce dont je me souviens de moins pire), les noms affectueux n’étaient pas légions dans ma famille. Et soudain cette femme avait fait le déplacement pour être là, tous nous voir, et c’est bel et bien elle qui pleurait le plus pendant toute la journée, à la fois du deuil et des retrouvailles. Elle m’a serré la main une bonne partie de la cérémonie (plus pour elle en fait, mais qu’importe ?).
Croyez-le ou pas, c’était la première fois depuis longtemps, et plus j’y pense plus ça fait une éternité, que je n’avais pas compris ce que ça veut dire qu’aimer quelqu’un de sa famille, d’être démonstrative avec elle, d’être naturelle et d’être acceptée comme telle.
Tata Marie, si tu arrives à bidouiller l’ordi de ton bureau, si tu parviens à aller sur Internet, si tu comprends comment lire un blog : MERCI. Je sais maintenant que vu ta débrouillardise en informatique, il faudra le dire autrement qu’ici, mais dans un premier temps, c’est pas mal déjà. (Puis chuis pas habituée moi)
Tout le reste de la famille s’est trouvé effacé par ces retrouvailles-là. Et Tata Marie n’a bondi avec joie et chagrin tout à la fois que dans ces bras-là. C’est peut-être ridicule, je l’ignore, mais j’en ai tiré une grande satisfaction. C’était… plus émouvant que n’importe quoi d’autre.
Ah. Si. Il y a eu ce moment. Le pire de tous en fait. Le seul moment où mon grand-père a pleuré. Il m’avait déjà vue en entrant, mais quand il a fallu s’installer et qu’il a vu que j’étais assise au premier rang (jugée coupable par le type des pompes funèbres de faire partie des plus endeuillés, ah bon vous êtes sûr de ça je suis pas au courant ?!) il est venu s’assoir à côté de moi, et il a eu ce râle, ce souffle de douleur, qu’ont les gens qui succombent brutalement à leur tristesse, il s’est assis, m’a pris la main, et a pleuré. Et je n’avais qu’une idée en tête : que ce n’était pas à moi d’être là. C’est le moment où comme par hasard, personne n’était avec lui, qu’il a choisi (façon de parler) pour pleurer, en me serrant la main, avec ce râle terrible que je connais bien, ce sursaut qui vous enserre et qui sort tout à la fois, un peu par surprise, un peu par soulagement. Ca a duré 10 bonnes secondes (si, c’est long), ensuite il s’est repris, s’est relevé pour aller saluer des gens, comme si de rien n’était presque, Tata Marie s’est glissée à sa place et en a fait quasiment autant, mais pour tout le reste de l’office. Ô joie.
De fait, dans ce genre de circonstances, vous ne pouvez pas faire autrement que pleurer si tant est que vous ayiez un coeur. Rien qu’à cause de la peine des autres. Pour la mine du type des pompes funèbres (c’est ce gars-là qu’il faut suivre si on veut faire tout comme il faut), austère et sinistre (les Fisher auraient une sacrée concurrence avec lui !). Pour les mains glacées qui serrent les vôtres qui sont bouillantes (allez comprendre) : d’un côté Tata Marie, qui ne s’en est remis qu’une fois à table le midi, et de l’autre ma mère qui avait tenu bon malgré sa propension à chialer facilement, mais qui a lâché la rampe au moment des chants, et que mon père, assis plus loin, n’était pas là pour consoler. J’avais l’impression soudain de remplir plus que mon rôle sachant ma place bizarre dans cette famille, d’en faire trop, de me laisser gagner par l’ambiance, terrifiée par les chansons bizarres et les gestes que j’étais certaine de faire mal (vers la gauche d’abord, maintenant je le sais, mais bon)
C’était trop étrange, et j’étais un peu… ma tête bourdonnait. Je me suis vaguement retrouvée lorsque le /padre/ s’est retourné pour la 5e fois en cherchant son livre de prières, je me suis dit « super organisé le gars, dans un bourg avec que des vieux il est pas plus rôdé que ça ??? », mais à part ça, j’étais comme absente et absorbée à la fois. Quand le curé parlait, j’ai essayé de bien écouter ce qu’il disait, de laisser les mots faire leur chemin en moi, mais ça n’a été que très peu probant, ça ne m’a pas touchée, surtout récité avec une mine d’écolier résigné. D’ailleurs beau travail, au lieu de nous accompagner ensuite au cimetière, il a fait une vague prière devant le corbillard, et hop, au chaud ! Je m’y connais pas trop mais mes soupçons se sont confirmés lorsque tout le monde a trouvé ça bizarre, deux ou trois heures après. Mais il était déjà loin.
Après tout ça on a expédié le cimetière en 20 mn parce que primo, mon grand-père tenait à peine sur neige verglacée par le passage du corbillard, deuzio, tout le monde était gelé (je pense que quelques orteils sont tombés au combat à ce moment), et tertio, ça commençait à être difficile pour tout le monde d’avoir une tête à peu près présentable. Et, inconvénient non négligeable, les larmes gerçaient à peine versées. J’ai comme prévu laissé aller mes larmes au moment de toucher le cerceuil (j’avais largement eu mon content de signes de croix impies), on est rentrés se mettre au chaud dans la voiture, on a foncé chez mon autre tante, et on a fait un gueuleton pas possible comme seule ma famille sait faire.
Et depuis la sortie de l’Eglise jusqu’à la fin du repas, une seule idée en tête : pendant ces 20 dernières années, ma grand’mère s’était ingéniée à séparer sa famille, ses filles de ses fils, ses fils entre eux, ses filles entre elles, puis quand ça ne l’amusait plus assez, ses petits enfants entre eux, et puis finalement, on n’a jamais eu un repas de famille aussi chaleureux, jovial, gai, heureux…Tata Marie gâtifiait toutes les deux minutes sur ma présence, son mari Jean-Claude est d’un humour formidable, Gilles était en grande forme, les cousines aussi, bref à part Pépé qui regardait tout ça calmement (il avait l’air content que les cérémonies soient passées, et surtout que la famille soit là, lui qui a toujours regretté ce que faisait son épouse, la façon dont elle lui interdisait de parler à Tata Marie par exemple) tout le monde était extatique. Sauf mon cousin mais difficile avec lui, de savoir si c’était de la tristesse ou l’impression de se faire chier, il a toujours été comme ça à ce genre de réunions, et je dois dire que moi aussi jadis, mais la présence de Tata Marie changeait tout, de façon radicale. Je ne m’en suis en fait pas remise.
Voilà, vous savez tout, y compris ce qui ne vous intéressait pas, faut pas m’en vouloir, il fallait vraiment que j’en parle…
PS : J’aurais eu 40 ans de plus, j’aurais tout-à-fait pu tomber amoureuse de Jean-Claude, ce type est l’image-même de l’homme parfait tel que je me le figure depuis des années. Un roc d’1m80, massif et rassurant, qui s’est comporté comme le fils de Pépé alors qu’il ne l’a pas vu pendant près de 15 ans, en gérant tout ce que les pompes funèbres faisaient, et en même temps un type à l’humour pince sans rire, corrosif, taquinant affectueusement sa femme. En fait, amoureuse, je suis en train de me dire que je l’ai déjà été sur le coup de 4 ou 5 ans. Les gens laissent une sacrée empreinte en vous l’air de rien. Il est le modèle auquel j’ai souvent comparé les hommes et je ne m’en aperçois qu’à présent. Enfin, c’est déjà un autre sujet, pas vrai ?