Quand la voiture a dépassé le Buffalo Grill, j’ai su que je pleurerais. En fait, quand j’ai réalisé que nous ne tournerions pas à droite, là, j’ai compris. Cette époque-là était finie. Et à vrai dire, soudainement, ça m’a surtout fait de la peine pour Pépé : une page de sa vie était tournée, un peu (un peu) comme moi récemment. Je ne veux pas dire que ça me fasse me sentir plus proche : juste, je comprends un peu.
Je suis donc certaine de pleurer, au moins quelques larmes. Dans un premier temps, je me sentais incroyablement étrangère à cela, et froide. Et puis, peut-être parce que finalement, pour la première fois de ma vie, j’ai le droit de pleurer devant mon père, et que l’ambiance s’y prête, je pressens que mes résistances cèderont, à un moment, demain. Et dans le fond, j’ai passé ces derniers mois à me retenir de pleurer, je ne l’ai fait qu’en de rares occasions, lorsque mes nerfs lâchaient, et après tout, pourquoi ne pas m’autoriser à pleurer pour tout cela ? Peut-être que quelqu’un me prendra dans ses bras. Ou peut-être pas, mais pour une fois, on n’aura aucun droit de me le reprocher. C’est cela que je suis venue chercher ? Le droit de pleurer ?
Je me sens un peu coupable de ne pas la pleurer elle, mais comme je l’ai déjà dit, je n’en vois pas la raison sachant que ma grand’mère m’était étrangère. Cependant, pourquoi ne pas vivre ce deuil de la façon qui me sied ? Qui, certes, est toute personnelle, mais qui me regarde. Je pleure la famille que je rencontre demain, la grand’mère que je ne connaîtrai jamais, la vie pas facile de ces derniers mois, la frustration, la peur, la colère, ce qui est en moi et qui n’attend que tout cela pour sortir. C’est d’ailleurs, sans doute, le cas d’autres personnes qui pleurent aussi, à la fois le défunt et la vie, sauf que ne le savent pas. Mais je veux m’y autoriser. Etre vraie avec les miens. Leur donner une chance de me satisfaire : me consoler dans un moment grave.
Je veux pleurer.
Le plus ironique c’est que, pour le moment, je n’y arrive pas.