Ca fait trois semaines et j’aime ma vie. Passionément. Ah non, vous n’imaginez pas.
C’est bien simple, ça faisait deux jours que j’étais ici que je pleurais déjà le soir en murmurant, entre deux sanglots, « Je veux rentrer chez moi ». Phrase qui d’ailleurs, contient une certaine dose d’humour, preuve que vraiment, je ne perds pas le sens du bon mot même dans les situations difficiles. C’est toujours ça.
Mais vous me connaissez : je hausse les épaules mentalement en me disant que ça n’est qu’une phase. Que ça va passer. Que ça va s’arranger, même. Naïvement ? Sans doute.
Voilà que ça fait trois semaines et le constat est le même : quand, pitié, quand m’en irai-je d’ici ?
Trois semaines et, voyons ? Combien d’engueulades avec Mirador ? Une demi-douzaine. Au bas mot.
Suis-je quelqu’un de méchant ? Voilà mon thème d’aujourd’hui. La petite question qui va me picoter le cerveau jusqu’à ce que, possibilité A, je me console avec un mensonge quelconque, possibilité B, je m’endorme en pleurant.
Combien d’heures par jour puis-je donc passer à me demander si je suis une bonne personne ? A moitié en me le répétant (ça fait du bien quand personne d’autre n’y consent ou ne peut vraiment y répondre) et en me le demandant, en fait. Je fais une consommation massive, excessive, de questionnement sur ma qualité d’être humain. Sans doute la seule dans mon entourage. J’ai remarqué que ceux qui devraient le plus se poser la question l’évitent soigneusement. De là à prétendre que la réciproque est vraie, je ne m’avance pas, de surcroît ce serait vraiment peu modeste -ça ferait de moi une mauvaise personne donc. C’est compliqué, hm ?
Impulsive. Je veux bien reconnaître que je sois impulsive. En fait je le reconnais sans honte ni détour, je ne suis pas certaine que ce soit un défaut, tout dépend de qui est en face, car ça conditionne l’impulsion. Oui, impulsion de colère, souvent, quand les gens prennent le parti d’être désagréables et espèrent qu’on ne leur fera pas remarquer.
Odieuse. Ca m’arrive. Disons : je sais comment taper, je sais où taper, et quand j’ai mal je ne m’en prive pas. Donc odieuse occasionnelle. Pas par nature : par réaction. En même temps avec le nombre de congénères sur la planète, difficile de vivre autrement que dans la réaction. Je suis certainement odieuse très souvent.
Acerbe. Oh la vilaine langue de vipère. C’est moi ça. Je ne retiens jamais derrière mes dents quelque chose qui pourrait faire mal à quelqu’un que je ne porte pas en haute estime.
Mais sinon ?
Depuis quand n’ai-je pas été poussée dans mes retranchements ? De quand date la dernière conversation où je n’aie pas été à cran ? Je ne me rappelle pas n’avoir pas eu le coeur dans la gorge depuis des mois. Sans doute aussi ai-je une mémoire sélective du fait de mon état actuel, mais tout de même.
Qu’il s’agisse de surcompenser avec certains Belges en visite, en affichant une gaîté, oh, pas feinte, pas vraiment, juste exagérée afin de n’avoir pas à parler de ce qui me préoccupe vraiment… ou de tomber en larmes au téléphone avec Joker (lequel, c’est certain, ne me rappellera jamais ; règle n°1 de la rupture dégueulasse : les amis de ton ex ne sont plus vraiment des amis, mais faut faire comme si), je suis number one dans les émotions hors de proportions ces derniers temps.
Alors oui, quand Mirador, une fois de plus, est désagréable, menace de me priver du peu qui me tient à flot (en attendant de voir ma psy mercredi, dont je ne suis pas sûre s’il s’agissait d’un rendez-vous ponctuel ou d’une reprise de nos consultations, ça n’a pas été très clair mais il faudra vraiment mettre ça à plat), oui, sans doute : en joue, prête, feu ! Je tire où ça fait mal parce que je n’ai même plus le temps de lécher mes blessures.
Je ne la supporte plus, il faut aussi dire ce qui est. Chaque fois qu’elle s’adresse à moi (ce qui est fondamentalement différent des fois où elle parle, car j’ai plus l’impression qu’une poupée gonfflable à mon effigie remplirait dans ce cas la même fonction), je ressens ça comme une attaque. Je sens que quelque chose s’attaque à moi. A quelque chose qui me fait moi. A ce qui fait ma spécificité. Ce qui fait que je ne suis pas une autre. Pas elle, par exemple. Je sens qu’elle veut modifier mes habitudes (bien-sûr, aucune des siennes ne doit varier d’un pouce, sur l’air de « je suis chez moi ici et pas toi », comme si ça excusait tout). Qu’elle veut modifier ma façon de vivre, de voir la vie. Pas dans le bon sens. Ce n’est pas pour que je me sente mieux, pas pour que je vive mieux, pas du tout dans ce soucis. C’est parce qu’elle pense que je dois faire comme elle. Non pas qu’elle pense que j’irai mieux, que je serai heureuse ou quoi que ce soit de ce genre, non, vraiment. Il s’agit uniquement de gommer toute disparité. A terme, j’ai l’impression qu’elle veut faire en sorte que je lui sois si semblable qu’elle aura à nouveau l’impression de vivre seule, que je n’existe pas.
Je peux exagérer. C’est très possible. On exagère toujours un peu quand c’est subjectif. D’accord, je peux l’admettre. Mais cette impression n’est qu’une longue impression de trois semaines. J’ai l’impression d’être gommée, lentement, par tentatives multiples et détournées. Chaque concession que je fais n’est pas suffisante : elle attend de moi l’aplatissement total. Je n’y peux rien, je ne peux pas laisser faire ça.
Qu’elle soit ma grand’mère ? Ca fait bien longtemps que tout cela ne veut plus rien dire en réalité. Une famille ? Je ne ressens plus rien qui s’en rapproche. Les liens du sang, c’est une chose, mais c’est devenu sans valeur pour moi. Et quand ça en avait, je ne souffrais pas moins : bagage inutilement douloureux, en fait. C’est parti, tout ça, la notion d’appartenir à quelque chose (surtout d’aussi boiteux), l’impression de devoir répondre à quelque chose, le sentiment de dette. Tout ça a disparu et je ne sais pas trop quand, mais peu importe. Voilà un sentiment mort qui ne me manque pas, et comme la chose est rare, je ne m’attarde pas sur la question.
Cela fait-il de moi une mauvaise personne ?
En fait, du point de vue de mes parents et de ma grand’mère, résolument : oui.
N’avoir plus aucun sentiment pour ma famille de sang fait-il réellement de moi quelqu’un de peu convenable ?
De ce que je sais, pour la plupart des gens, c’est inconcevable. La famille de Lord T a arrêté de chercher à comprendre, mais de toute évidence elle ne s’y était jamais fait. Peu de parents comprennent. Et sitôt qu’il s’agit de quelque chose du type « beaux-parents », ça fait très peur.
Mais sinon ?
Je crois que je réfléchis comme s’il y avait un absolu de « bonnes personnes » et de « mauvaises personnes » (en écrivant cette phrase j’ai une pensée pour mes profs de lettres de lycée). Mais ce n’est pas le cas. Pourtant ce qui se dessine derrière cette question, c’est la reconnaissance. J’ai envie qu’on m’aime, tout bonnement.
Aïe ! Touché. Si je pleure en écrivant cette phrase, c’est de toute évidence que j’ai mis le doigt sur quelque chose.
Pas très étonnant, dans le fond. Pas très étonnant que j’aie l’impression de n’être pas aimée. Les gens avec qui je vis m’ont donné, ces derniers mois, plutôt l’impression de me haïr farouchement, ou pire encore, de me mépriser. A quelques exceptions temporelles près, qui toutes ce sont avérées fugaces… et mensongères : non ce n’était pas de l’affection pour moi, mais un besoin d’affection pour eux. Et chaque fois j’ai sauté à pieds joints dedans. C’est normal, j’étais faible. Et je le suis encore.
Justement, je me sens faible, si faible.
Quelqu’un peut me dire depuis combien de temps je me sens épuisée de vivre ? Je n’ai pas mon blog sous les yeux, mais il me semble vaguement que ce n’est pas la première fois que j’écris ces mots. Et avant de les écrire, je devais les penser depuis plusieurs mois déjà.
Je voudrais juste me sentir plus forte. Juste trouver quelque part le courage. Les gens qui l’ont semblent le tirer de leurs certitudes : je n’en ai plus une.
J’ai réalisé avec douleur que la foi qui m’animait jusqu’alors, cette foi qui était en moi depuis près de 5 ans, et qui avait germé un peu par surprise, cette fois a totalement disparu. Je n’ai plus aucune sorte d’espoir, et c’était le dernier que j’abritais.
Plus une seule certitude. Plus de sentiment de sécurité : ce après quoi je cours depuis des années, et dont en fait j’ai l’impression de n’avoir fait que m’éloigner.
Les gens comme moi finissent-ils bien ? Je ne parle pas simplement de mon avenir : tant que je serai lâche, tant que je trouverai des excuses, je resterai en vie et vivoterai tant bien que mal, comme je le fais depuis plusieurs mois déjà. Je n’ai aucune illusion à ce sujet : m’attendent des périodes d’apparente rémission, et des dépressions chaque fois plus graves. C’est, quoi ? La troisième ? Bravo, bel effort. Ou alors ce n’en est qu’une seule de plusieurs années et je ne suis pas certaine de me consoler de cette idée-là.
Non, ce que je me demande, c’est combien de temps, avec ce genre de vie, ce genre de pensées, ce genre d’entourage, ce genre de souvenirs, combien de temps je vais être capable de me demander si je suis une personne bien ? Parce que du jour où ça ne préoccupera plus, il sera trop tard.