Ou comment une Morning Musume peut aussi sortir de belles métaphores…
Une video intéressante a attiré mon attention… L’une des Morning Musume (pour plus de détails, je vous invite à consulter Teruki Paradise), nommée Eri, confiait quelques unes de ses pensées devant une caméra. Au détour de réflexions sur la grippe avière ou l’une de ses amies, voilà tout d’un coup des paroles qui m’ont heurtée de plein fouet.
Eri raconte qu’un jour, elle enfile une paire de chaussettes dépareillées, pensant que cela ne se verra pas (car après tout, les chaussettes sont cachées dans les chaussures, pas vrai ?). Mais la voilà contrainte de se changer pour une émission, et à son retour au vestiaire, lesdites chaussettes ont disparu. Misérable, elle va se résoudre à demander discrètement à son manager que faire, lorsque celui-ci brandit les objets de la honte et demande à la cantonade à qui appartient la paire dépareillée. S’en suit naturellement une confusion que l’on imagine, au milieu des rires de ses congénères (c’est cruel un troupeau de gonzesses). L’anecdote est charmante.
Là où je n’ai pu m’empêcher de dresser un sourcil, c’est quand les considérations purement « chaussettiques » se sont transformées en confession de doutes réels, quasiment une crise identitaire. Eri constate qu’elle a toujours des trous dans ses chaussettes, et que tout le monde le lui fait remarquer -elle n’y voit pourtant pas à mal. D’ailleurs, elle confie adorablement que lorsqu’elle n’a plus de chaussettes, elle en emprunte à ses soeurs, et, tôt ou tard, des trous apparaissent, presqu’inexorablement. La vraie question est : pourquoi les gens n’ont-ils jamais de trous à leurs chaussettes ? En achètent-ils plus ? De meilleure qualité ? Qu’advient-il des chaussettes trouées, ne les mettent-ils jamais ?
La raison pour laquelle j’ai été touchée, c’est que j’ai tendance (peut-être à tort) de considérer que la façon de s’exprimer des Japonais est toujours ou presque métaphorique. Il n’y a qu’à regarder leur façon de considérer les choses de la vie : le moindre détail est toujours révélateur d’une chose de plus grande importance. Ils s’extasient de menues bribes de la réalité que nous, Occidentaux éternellement blasés, n’apercevons même pas. Il y avait par exemple cet auteur, Kenzaburô Oe, qui écrivait au détour d’un de ses livres un cadeau que lui avait apporté l’un de ses amis parti en vacances à l’étranger. Il lui avait ramené un petit hérisson en porcelaine, minuscule, dont on aurait pu se servir comme presse-papier ou bibelot sans importance. Mais Oe l’avait mis en valeur sur une étagère avec quelques autres trésors chers à son coeur. Vous savez pourquoi ? Uniquement parce qu’il a songé au mal que son ami s’était donné pour rapporter indemne cet objet insignifiant mais fragile, bien qu’il n’ait sans doute coûté qu’une poignée de la monnaie locale. Voilà un exemple qui résume parfaitement la façon dont j’envisage le mode de pensée japonais : les plus petites choses en révèlent d’autres plus importantes. Et que tout est finalement une sublime métaphore.
Et soudain, Eri racontant avec embarras ses interrogations à propos des chaussettes (et des inégalités de chacun devant les trous de ces dernières), m’a rappelé mes propres interrogations, lorsqu’il m’arrive de penser aux jeunes de mon âge qui sont insouciants et trouvent naturel de n’avoir pas de trous dans leurs chaussettes, tout en se moquant des vôtres, sans s’apercevoir que tout un questionnement s’en suit. Les plus naturelles des choses qui peuplent la vie de mes congénères me semblent terriblement compliquées. J’ai vécu ce genre de questions à propos de détails de ce type, moi aussi, aboutissant à des questions de plus grande ampleur : finalement j’ai passé quelque chose comme les dix dernières années de ma vie à tenter de comprendre pourquoi ceux de mon âge en savaient plusque moi, faisaient mieux que moi et se comportaient mieux que moi sur tellement d’aspects.
Les chaussettes d’Eri ? L’histoire de ma vie.
PS : sur fond de W – Shiroi Iro wa Koibito no Iro (dispo une fois de plus sur Teruki Paradise)